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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concerts de musique russe avec Valery Gergiev à la tête de l'Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg .
Gergiev, le sauveur
Ces temps derniers, le chef russe Valery Gergiev est l'objet d'une légère controverse : on lui reproche une certaine suractivité qui l'empêcherait d'aller au bout de sa pensée musicale, quand on lui en prête une
Des griefs largement infondés si l'on s'en tient aux deux derniers concerts qu'il a donnés au Châtelet début février.
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Après avoir tiré le Théâtre Mariinksy de la banqueroute et produit plusieurs excellents enregistrements sous étiquette Philips, Valery Gergiev s'est vu l'objet d'une médiatisation extrême. Son répertoire s'élargissant rapidement, certains ont commencé à mettre en question le bien-fondé de cette notoriété, se demandant même si Gergiev ne profitait pas de son image de "sauveur de la musique russe".
Si les deux concerts donnés successivement les 1er et 2 février derniers, ont quelque signification, on peut alors affirmer sans risque que cette notoriété est méritée. Et si l'un des arguments favoris de ses détracteurs consiste à dire que ses interprétations sont prévisibles, cela peut être attribué au fait que notre connaissance du chef Gergiev repose presque exclusivement sur le répertoire russe qu'il dirige manifestement d'une manière très personnelle.
Or, on doit aussi avoir à l'esprit que Gergiev a entrepris un grand cycle d'exploration de sa musique natale et que cela exige un certain esprit de continuité. S'il est difficile d'appréhender pour le moment son plan d'ensemble, il y a fort à parier que ce qui a été pris pour un manque de renouvellement se révèlera en réalité être de la constance.
Toradze rivalise de charisme avec Gergiev
Pour revenir aux concerts du Châtelet, le premier concert des deux a commencé avec le Concerto pour piano n°3 de Prokofiev, avec Alexandre Toradze comme soliste, et ce fut assurément l'un des sommets des deux soirées. Toradze fut, bien sûr, le soliste des cinq concertos pour piano de Prokofiev enregistrés par Gergiev, et malgré cela, le public parisien n'est pas forcément familiarisé avec son nom. Sa prestation, en conséquence, étonna l'audience.
Toradze est un pianiste de premier plan doté d'une technique et d'un phrasé éblouissants allié à un sens du tempo et du rythme inflexible. Et par-dessus tout, l'interprète ne manque pas de charisme. À le voir jouer, il semble tantôt effleurer les touches, tantôt de bondir littéralement de son siège pour aller soustraire chaque note des dents du piano.
Propre et prompt, son travail à la pédale donne parfois l'impression que ses pieds bougent au même rythme que ses doigts. Épousant parfaitement le style de Gergiev, le pianiste appuya sans réserve la lecture entière et péremptoire du chef .
Pour l'amour de Prokofiev
Prokofiev est le compositeur fétiche de Gergiev et son amour lui ouvre une compréhension intrinsèque de cette musique que peu d'artistes ont égalée. Jusqu'à la fin du concerto, il parut en mesure de dicter le flux et le reflux de la musique tel un Poséidon imposant son rythme aux océans. Complètement plongés dans la partition, chef et pianiste dansèrent pratiquement durant tout le concerto, et lorsqu'ils atteignirent le final, une bonne partie de l'auditoire faillit oublier de respirer
Pour la seconde soirée, le duo s'est attaqué au Concerto pour piano n° 2 de Prokofiev avec une félicité égale. Sans doute un peu exténué par le concerto de la veille, Toradze paru peut-être un peu moins précis que la veille, mais sa verve resta intact. Or Toradze n'est pas toujours un pianiste facile à entendre : qu'elle soit sereine ou tourmentée, il vit la musique à coeur ouvert et assène à son audience des sentiments à l'état brut, sans aucun filtre de pudeur.
La seconde oeuvre du premier concert (le 1er février) fut le Prométhée, ou Poème du Feu, de Scriabine. Il y a des moments humoristiques dans cette oeuvre, et Gergiev ne manqua pas de les mettre en valeur (en particulier dans le dialogue pétillant entre les bois et les cordes). Cependant, c'est manifestement le mysticisme qui domine chez Scriabine et Gergiev sembla en avoir parfaitement conscience.
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Le mysticisme introuvable de Scriabine
Mais son jeu habile sur les couleurs et les contrastes comme par exemple ce chant serein de hautbois soudainement cerné par le fracas irrésistible de l'orchestre ne parvint pas complètement à habiter le rayonnement intérieur propre au compositeur. Cela écrit, ce fut tout de même une interprétation de haut niveau et Toradze, une fois encore, fut étincelant de virtuosité.
Le lendemain, Gergiev affronta Le Poème de l'Extase, le second des poèmes symphoniques de Scriabine, encore un cran au dessus dans le territoire peu hospitalier du mysticisme. Une oeuvre des extrêmes, qui demande du chef de la fermeté, et Gergiev ne toléra aucune timidité dans le jeu de son orchestre, faisant tonner et résonner le poème de la première à la dernière note.
Si fallait chercher une forme littéraire correspondant à ce poème musical, on aurait recours aux vers libres, et Gergiev travailla en ce sens, jouant des permutations entre phrases longues et courtes, utilisant les différents éléments de l'orchestre dans un dialogue plutôt que dans un unisson harmonieux. Dans les cinq dernières minutes, Gergiev réussit enfin à coller au plus près de l'exigence métaphysique du compositeur : c'est bien connu, les révélations sont toujours longues à venir.
L'apologie du rythme
Stravinsky fut le dernier compositeur au programme de ces deux soirées avec successivement l'Oiseau de feu et le Le Sacre du Printemps. Pour la première oeuvre, des cordes sinueuses illustrèrent finement sa dimension orientale mais l'ensemble pâtit d'un certain manque de vivacité. Heureusement, ce ne fut pas le cas le lendemain avec un Sacre du Printemps rythmé et frénétique en diable avec des allures de grand rite sacrificiel et paien.
Au final, Gergiev s'est effectivement montré à la hauteur de sa réputation de "sauveur de la musique russe" que lui prêtent ses adeptes, et s'il n'a pas signé la référence définitive de chacun des compositeurs qu'il a abordés, particulièrement Scriabine, son éclairage de ce répertoire reste toujours indispensable, tant il est vrai que cette "âme russe" que la Folle journée de Nantes a voulu cerner reste multiforme et insaisissable.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 02/02/2001 Linda MURRAY |
| Concerts de musique russe avec Valery Gergiev à la tête de l'Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg . | Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg (Kirov).
Piano : Alexandre Toradze.
Théâtre du Châtelet. 1er et le 2 février, 2001.
01/02/01
Prokofiev : Concerto pour piano et orchestre no.3 en ut majeur, op.26 (1921).
Scriabine : Prométhée ou Le Poème du feu, op.60 pour piano et orchestre (1908-1910).
Stravinsky : L'Oiseau de feu (1909-1910).
02/02/01
Stravinsky : Le Sacre du Printemps (1912-1913).
Prokofiev : Concerto pour piano et orchestre no.2 en sol mineur, op.16 (1913-1923).
Scriabine : Le Poème de l'extase, op.54 (1906-1908).
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