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L'ACTUALITE DE LA DANSE |
12 mars 2025 |
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Reprise d’Onéguine de Cranko au Ballet de l’Opéra national de Paris.
Un bonheur si proche
Entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2009, Onéguine constitue le plus beau des véhicules pour Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero qui s’apprêtent à y faire leurs adieux. Les deux Étoiles brûlent la scène dans les déchirements de leur amour contrarié. Tout autant expressifs, Léonore Baulac et Marc Moreau portent haut un ballet qui est la quintessence du genre narratif.
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Dans l’opéra de Tchaïkovski, les deux scènes de bal, loin d’être de purs moments de divertissement, forment des étapes déterminantes de la progression dramatique. Lorsque le jeune John Cranko est chargé d’en assurer la chorégraphie à Covent Garden en 1952, il se rend compte qu’elles permettent de transcender la séparation traditionnelle entre pantomime, danses de caractère et les fondamentaux de la danse classique tels qu’ils existent depuis Marius Petipa.
En créant une décennie plus tard sa propre adaptation du roman en vers de Pouchkine, le chorégraphe australien réussit une synthèse de ces éléments donnant au ballet narratif ses lettres de noblesse. Désormais, la danse devient langue, parole et psyché de l’âme. Pour cette reprise d’Onéguine, Mathieu Ganio incarne une nouvelle fois le rôle-titre. Bientôt la dernière aussi sur cette scène puisque l’Étoile y fera ses adieux le 1er mars.
Le danseur s’y montre toujours éblouissant de technique mais c’est la théâtralité de son art qui emporte et fascine. Après le prince Rodolphe de Mayerling un peu plus tôt cette saison, Ganio excelle à portraiturer les contradictions d’un autre personnage empêtré dans son mal-être. L’expressivité de son corps traduit l’impavidité feinte ou réelle d’Onéguine, sa cruauté et enfin ses fêlures sans jamais que le style ne soit sacrifié.
Plus encore que les solos, ce sont les pas de deux qui font la renommée et l’essence de ce ballet, et plus précisément ceux avec Tatiana. Une autre Étoile en partance personnifie cet amour impossible et blessé : Ludmila Pagliero. La danseuse qui fera ses adieux le 12 avril dans Appartement de Mats Ek, donne elle aussi une performance d’une maîtrise dramatique impressionnante. Le maintien, les postures montrent à la fois l’idéal féminin, un peu rêveur, et l’acceptation sans condition des règles de cette société, avant qu’éclate une rage impuissante face à ce gâchis.
Son interaction avec Ganio se révèle magique, dans le pas de deux au I avec des portés fabuleux comme au III pour une série d’étreintes dont on ne sort pas indemne. À leur côté, l’autre couple étoilé formé par l’Olga de Léonore Baulac et le Lenski de Marc Moreau montre également une large palette expressive depuis la fraîcheur de l’amour juvénile jusqu’au désespoir le plus tragique. Le reste de la compagnie se présente d’une belle éloquence, plus à l’aise dans les deux bals que dans la scène paysanne à la chorégraphie convenue.
Dans la fosse, l’orchestre ne sonne pas ce soir à son meilleur avec des équilibres étranges. Le recours opportun à des pièces pour piano (notamment des extraits des Saisons), à des morceaux symphoniques de Tchaïkovski (Francesca da Rimini) montre combien la danse innerve toute la production du compositeur. Kurt-Heinz Stolze a eu toutefois la main lourde dans la répétition des thèmes et leur arrangement. Heureusement, en vieux routier du ballet, le chef Vello Pähn insuffle à l’ensemble une progression émotionnelle transcendant les faiblesses instrumentales jusqu’au climax final où le bonheur s’éloigne à jamais.
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