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DOSSIERS |
22 décembre 2024 |
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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les Noces
Les Noces de Figaro n'avaient plus connu pareil tourbillon théâtral depuis la production mythique de Giorgio Strehler. Créée en 2001 sous la baguette de René Jacobs, la mise en scène de Jean-Louis Martinoty s'est rapidement imposée comme une référence. A l'occasion de cette deuxième reprise, le metteur en scène nous livre les secrets de cet opéra à clefs.
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Les Noces de Figaro est un opéra extrêmement compliqué dans le détail de ses situations psychologiques et réalistes. Pour jouer cette pièce, il faut au moins trois portes ; on ne peut y échapper. Que vous transportiez les Noces de Figaro au sommet d'une montagne, ou au fond de la mer, vous aurez toujours besoin de trois portes, sauf à les transformer en écoutilles de sous-marin.
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Un spectacle pédagogique
Le succès de cette production vient d'abord du fait qu'il s'agit d'un spectacle très pédagogique, en ce que je me suis amusé au jeu de « tout ce que vous devez ou pouvez savoir sur les Noces de Figaro sans jamais oser le demander ». Je pose donc toutes les questions que l'on peut se poser, y compris sur les détails les plus insignifiants : combien de patentes y a-t-il ? Quand y a-t-il une entorse à la patente ? Ou encore le problème des clés : la Comtesse peut-elle les donner au Comte lorsqu'il les lui demande ? Non, car il ne peut pas y avoir de clés. Pourquoi Cherubino ne peut-il pas s'enfuir ? Parce que le porte son serrate ; il faut donc que la porte soit réellement fermée, et que Suzanne l'ouvre à son retour.
Il y a toute une série de petites choses très amusantes à régler, comme les quiproquos, les costumes de la Comtesse et de Suzanne au quatrième acte. Ce sont des choses que, la plupart du temps, les metteurs en scène ne prennent pas la peine de résoudre jusque dans leurs dernières extrémités, et que je me suis amusé à faire. J'attends qu'on me signale des erreurs, mais pour l'instant, je n'en ai pas encore trouvé. Tout cela est un peu innocent, mais ce côté pédagogique permet de comprendre le spectacle, et de savoir où l'on en est, ce qui est extrêmement agréable pour les chanteurs.
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De la psychologie au social
En second lieu, je me suis occupé de la psychologie des uns et des autres dans le détail, avec un raffinement extrême, poussé presque jusqu'à l'excès, dans les récitatifs, les intonations, les couleurs, l'ironie ; tout un jeu qui fait la difficulté des rôles pour les chanteurs – même ceux qui les ont déjà incarnés dix fois dans le monde entier –, mais qui, en même temps, nourrit leur expérience théâtrale. Hors, aujourd'hui, cet exercice psychologique n'est pas du tout à la mode. On lui préfère des effets coup de poing, des rencontres d'images, des paraboles, avec un peu de métaphysique, ou de social – mais que le social vienne justement des rapports sociaux, comme le dit Marx dans sa sixième thèse sur Feuerbach, cela n'est plus du tout à la mode. Cela m'amuse de montrer que la réalité sociale des personnages, des conflits, vient aussi de la subtilité de leurs rapports psychologiques.
D'autre part, nous jouons dans le XVIIIe siècle, ce qui pour un certain nombre de spectateurs, et particulièrement pour toute une critique allemande ou même anglaise, représente une agression intellectuelle, un signe de conservatisme tellement outrageant qu'ils n'en regardent même plus s'il y a quelque chose à voir dedans. Les costumes d'époque sont presque là par provocation. Mais je crois fermement que rapprocher les ouvrages de nous en les forçant à dire des choses qu'ils ne disent pas est contreproductif, en ce sens qu'il est beaucoup plus important pour comprendre ce que nous vivons aujourd'hui de saisir quelle était la situation d'une oeuvre dans son contexte politique ; ainsi pour bien comprendre ce qu'est aujourd'hui une situation pré-révolutionnaire.
Car une situation pré-révolutionnaire, comme celle de l'Allemagne avant la chute du mur, ou de la Roumanie avant que Ceaucescu ne tombe, est semblable à celle que nous voyons lorsqu'au troisième acte, le Comte perd le pouvoir, et que la Comtesse lui intime d'accepter le mariage. Lorsque je parle aux chanteurs, je leur parle de choses d'aujourd'hui. Quand Ceaucescu s'est fait siffler au balcon, il n'a pas su quoi faire : il n'a pas fait tirer sur la foule comme d'habitude, comme les Chinois l'ont fait à Tien An Men.
Il est donc tout à fait possible de parler d'aujourd'hui en montrant ce qu'est une situation pré-révolutionnaire, et de comprendre que les Noces de Figaro n'est pas un opéra qui conduit directement à la révolution, puisqu'il s'agit d'une affaire de moeurs entre les personnes, affaire de moeurs qui, probablement, d'inceste entre Figaro et Marcelline, qui d'adultère souhaité par le Comte, et rendu possible entre Chérubin et la Comtesse. Les situations ne sont donc explicables que par une analyse sociale, et de ce point de vue, on retombe dans le politique, donc dans aujourd'hui, mais tout ce travail est nécessaire au préalable.
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Un continuum théâtral
La troisième raison pour laquelle ce spectacle a du succès est que nous avons réussi à intégrer les récitatifs et les airs dans le même mouvement théâtral. Ainsi, je ne sépare pas théâtralement l'air de son récitatif, et je mets très souvent des personnages dans les airs pour donner du relief théâtral aux chanteurs : Figaro traverse la scène durant l'air de Bartolo chanté en présence de Marcelline, Figaro chante son grand air du quatrième acte contre Barberine, en présence de Bartolo et de Basilio, ou encore le récitatif qui précède l'air du Comte s'appuie sur le passage de tous les personnages qui sont autour. Cela crée un mouvement théâtral permanent, qui fait que l'air n'est pas isolé dans sa bulle musicale par rapport au récitatif, et qu'on obtient un continuum théâtral du début à la fin.
Je crois que ce sont les raisons qui font que ce spectacle devient une espèce de référence sur la « normalité » de ce que sont les Noces de Figaro de Mozart. On peut leur faire dire autre chose, s'en servir pour faire des démonstrations de paraboles métaphysiques, politiques – j'ai vu des Noces de Figaro qui se passaient à New York, de John Dew et pas seulement de Sellars. Ici, nous avons la subtilité psychologique de Beaumarchais, telle qu'elle est vécue et transcendée par Mozart, jusque dans son raffinement le plus poussé. Et de reprise en reprise, nous allons encore un peu plus loin, mais les progrès sont infimes, et il n'y a pas de bouleversement.
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