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ENTRETIENS |
21 décembre 2024 |
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Les langues bien pendues
de Ian Bostridge
Rattle, Harnoncourt, Gardiner, Ozawa, Davis, Mackerras, Herreweghe, etc., la liste des chefs prestigieux qui lui ont accordé leur confiance et des rôles de premier plan semble le meilleur des curriculum. Mais ce ténor anglais qui a fait ses classes à Oxford et Cambridge est aussi un ardent récitaliste. Rencontre.
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Le 20/02/2003
Propos recueillis par Yutha TEP
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D'aucuns ont pu vous taxer de préciosité excessive dans vos interprétations, en particulier dans le domaine du lied. Comment percevez-vous ces critiques ?
C'est vrai, peut-être que j'exagère parfois les choses un peu plus que lui, je ne sais pas. En fait, cela dépend beaucoup de l'oeuvre. Certaines demandent qu'on se domine plus, d'autres exigent le contraire, et c'est vrai que l'on peut ne pas être d'accord sur les options prises. Mais de toute façon, le texte oblige toujours à faire des choix entre le chant pur et la dimension récitative.
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Comment composez-vous vos programmes de Lieder ?
En début de carrière, c'est toujours plus facile, on est souvent obligé de trouver des programmes qui puissent plaire dans tous les pays ; c'est le cas du Winterreise que je vais donner prochainement au Théâtre des Champs-Elysées. En revanche, quand il faut rassembler des lieder plus individuels et réussir un programme qui se tienne, voilà un vrai défi.
Pour le programme de l'an passé au Châtelet, j'ai réfléchi à la manière dont Schubert a élaboré son Winterreise, et j'ai essayé de me mettre à sa place. J'attache beaucoup d'importance au récital. Quand j'ai rencontré mon manager, je lui ai clairement indiqué que je voulais un tiers d'oratorio, un tiers d'opéra et un tiers de récital dans ma carrière. C'est très important de conserver cet équilibre entre les différents répertoires.
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Vous serez au Théâtre des Champs Elysées avec Leif Ove Andnes. Ce n'est pas pour vous qu'un simple accompagnateur occasionnel.
Bien sûr, c'est une telle personnalité musicale. Nous avons trois projets discographiques ensemble, le premier est ce disque Schubert qui sort, et nous venons de finir le second. Puis, nous allons justement enregistrer le Winterreise.
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Le compositeur Hans Werner Henze a composé un cycle de mélodies à votre intention. Comment s'est déroulée votre collaboration ?
Henze est une personnalité formidable, avec laquelle il est vraiment facile de travailler, tout simplement parce que ce n'est pas une personne compliquée. Après le disque de mélodies, nous préparons un opéra pour le prochain festival de Salzbourg, L'Upupa. Ce sera probablement un opéra en 11 tableaux. |
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En général, vous êtes très attentif quant à la langue dans laquelle vous chantez. Vous avez chanté beaucoup d'oeuvres en allemand, ou en anglais bien sûr. Et les autres langues ?
Je suis de plus en plus intéressé par la langue italienne. J'ai chanté Néron dans Le Couronnement de Poppée à Munich, et il y a aussi Orfeo, que j'enregistre en ce moment avec Emmanuelle Haïm. Pour Orfeo, c'est un peu comme un lied, il faut trouver à chaque fois la bonne couleur, dans un rôle qui revêt plusieurs aspects au fil de l'oeuvre.
Mais la musique de Monteverdi est vraiment sophistiquée. Je viens de terminer une tournée en Italie, où j'ai chanté, outre Schubert et un peu par provocation, les Michelangelo sonnets de Britten, écrites en italien ; et c'est ce qui a remporté le plus de succès ! |
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Cela veut-il dire plus d'italien dans le futur, l'opera seria par exemple ?
J'avoue que l'opera seria m'intéresse moins. C'est vrai par exemple des opéras de Haendel. Dans Haendel, j'ai enregistré L'Allegro avec John Nelson, et je pense évidemment à Bajazet de Tamerlano, qui est un rôle fantastique et que je vais chanter bientôt. Je vais aussi interpréter le rôle d'Alessandro dans Poro avec Emmnanuelle Haïm.
Je m'intéresse aussi à Grimoaldo dans Rodelinda, mais Haendel n'a pas écrit beaucoup de rôles excitants pour ténor dans ses opéras. J'aimerais bien enregistrer le Messie un jour, ou Sémélée. Mais j'ai lu récemment quelque chose sur les accusations de sorcellerie qu'on avait formulées contre lui, je pense mieux comprendre le personnage. |
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Et Bach ?
C'est vraiment une musique fascinante. J'ai fait la Passion selon Saint Matthieu avec Philippe Herreweghe, et j'aimerais bien un jour l'enregistrer de nouveau. Et je vais de toute façon la chanter en 2006 avec Simon Rattle, avec qui j'ai chanté aussi la Saint Jean. |
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Et la langue française dans tous ces projets ?
J'ai enregistré un disque de mélodies de Poulenc, Fauré et Debussy, qui n'est pas sorti, et je vais enregistrer La Bonne Chanson dans sa version pour quintette avec piano, qui sortira plus tard.
Poulenc m'intéresse particulièrement, parce qu'il se situe dans la tradition de la mélodie un peu comme Britten se place dans celle des Songs. Ils ont tous les deux beaucoup joués Schumann et Schubert, ce qui leur a permis d'entrer vraiment dans l'univers du lied.
Je n'ai pas spécialement peur de la langue française, je la comprends bien, et je la lis parfaitement, elle fait partie de ma culture. Mais c'est vraiment une chose délicate de chanter dans la langue des autres, on se prend parfois à exagérer les choses par peur de ne pas être assez " pur ".
Dans Poulenc par exemple, les mots sont parfois extrêmement inhabituels. Il est très difficile de décider de la manière dont fonctionnent les mots dans le texte ; si on force trop sur le texte, on devient précieux, on est trop clair, d'un autre côté, si on n'est pas clair, on perd tout l'intérêt de ce texte. C'est vraiment étrange.
Mais le français m'intéresse au plus haut point. Je suis passionné par le répertoire français du XVIIIe siècle, Rameau, Clérambault ou Montéclair par exemple, que j'espère travailler avec Emmanuelle Haïm. Platée de Rameau m'excite particulièrement. |
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Toujours ce souci donc maîtriser une langue avant de se lancer ?
Les gens peuvent être très critiques. Pour Orfeo, par exemple, je ne me sens pas spécialement inquiet, en partie parce qu'il existe une grande tradition d'Orfeo britanniques, à commencer par Anthony Rolfe-Johnson.
De toute façon, il faut aussi savoir que chanter dans sa langue maternelle n'est pas forcément une garantie de qualité, car on peut parfois se relâcher, et perdre de vue la diction, trop privilégier la phrase globale au détriment du mot, alors que le mot est parfois capital. Mais ce n'est pas propre aux interprètes, on a par exemple beaucoup critiqué Britten dans sa mise en musique des textes italiens dans les Michelangelo sonnets. |
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Ian Bostridge et Leif Ove Ansdnes se produiront le 3 Mars prochain au Théâtre des Champs-Élysées. |
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