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ENTRETIENS 26 décembre 2024

Olivier Baumont, le neveu de Couperin

Olivier Baumont

Le festival Couperin en concert vient de s'achever sur un bilan artistique fort positif. Aux commandes de cette manifestation, le claveciniste Olivier Baumont, qui nous livre ici quelques propos sur une manifestation qui peu à peu entre dans les festivals incontournables de musique ancienne. Avec un souci évident de sortir son répertoire du « musée », en lui trouvant notamment des prolongements dans la création musicale.
 

Le 08/07/2004
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • Pouvez-vous nous décrire rapidement les caractéristiques de votre festival ?

    Le Festival a lieu au Château de Champs-sur-Marne, près du berceau des Couperin, lesquels au XIVe et XVe siècle s'étaient établis dans le village de Chaumes-en-Brie, où est né Louis Couperin. Le château appartenait d'ailleurs à une élève de Couperin, la princesse de Conti, fille légitimée de Louis XIV, grande amatrice de clavecin ayant tissé des liens entre autres avec d'Anglebert. Le Festival lui-même est entièrement organisé par une émanation du Conseil Général, Act'art, qui se voue au spectacle vivant en général, théâtre, musique etc. Mais nous sommes aussi soutenu par la région et la DRAC d'Ile-de-France. Nous avons un public d'habitués, qui se répartit de manière satisfaisante entre des habitués du Château de Champs et des Parisiens. Le lieu est absolument splendide, et le bouche à oreille fonctionne pleinement. A partir de 1992, je me suis occupé d'une première version du festival, puis devant la nécessité d'avoir une identité ferme et avec l'accord du Conseil Général, nous avons recrée un festival qui est donc « Couperin en Concert Â», avec des concerts au Château, soit à l'Orangerie, soit dans le Salon de Musique, et de temps en temps dans deux lieux parisiens, qui sont la Galerie Dorée de la Banque de France (ancien hôtel du Comte de Toulouse, qui a été l'un des protecteurs des Couperin), soit bien sûr Saint-Gervais. Mais le festival lui-même est vraiment basé à Champs-sur-Marne, et nous sommes à la sixième édition de la nouvelle formule.

     

    Quelle est votre ligne artistique principale ?

    J'essaie chaque année de donner au festival une thématique, assez large pour intégrer un maximum de programmes, mais assurant une certaine unité. J'ai choisi « Les Jardins secrets Â», parce que j'aime beaucoup les jardins secrets. Il y a bien sûr un rapport avec le château, qui abrite de superbes jardins à la française mais aussi un peu à l'anglaise. Pour l'ouverture le vendredi 25 juin, nous avons eu la joie d'accueillir Gustav Leonhardt, dans un de ses programmes de prédilection, avec Louis Couperin et Froberger, c'est en quelque sorte « son Â» jardin secret.

     

    Des « Jardins secrets Â» qui privilégient les rencontres !

    J'aime provoquer les rencontres entre musiciens, assurément. Le 26 juin dernier par exemple, pour le premier week-end du festival, il y a eu trois concerts le même jour. Le premier a vu la rencontre entre Jean-Paul Fouchécourt et Les Cyclopes, ensemble basé à Caen. Puis, nous avons eu un concert d'une série que nous avons intitulée « La Muse naissante Â», et qui est consacrée à un jeune artiste ; pour ces concerts, nous avons depuis trois ans un partenariat formidable avec le CNSM de Paris, même si cette année la luthiste Claire Antonini n'entrait pas vraiment dans ce cadre – elle a fait un programme autour de Gauthier et Visée. J'ai collaboré avec Claire pour l'intégrale Chambonnières, où elle interprète quelques pièces « en concert Â» comme on disait à l'époque des oeuvres pour clavecin accompagnées d'un théorbe. Le soir, cela a été un spectacle lui aussi dans une perspective qui me tient à coeur, et qui consiste à jeter un pont vers le théâtre et les comédiens : nous avons donc eu la création de La Nuit et le Moment de Crébillon fils. La mise en scène était d'Alain Delanis.

     

    Vos concerts ne se limitent cependant pas au cadre strict du Château de Champs-sur-Marne.

    Certes non. Par exemple, nous avons fait un concert le 27 juin à Paris, à Saint-Gervais, le fief des Couperin, où l'on sait que Bossuet a donné plusieurs oraisons. Nous y avons commémoré la mort de Bossuet, en reconstituant une de ses oraisons funèbres, avec la Maîtrise de Versailles et Olivier Schneebeli. On connaît les musiques qui étaient jouées pendant ces oraisons, et nous avons choisi ici le Dies Iræ de Lully, Olivier Trachier, l'un des organistes de Saint-Gervais, a assuré la partie d'orgue et Jean-Denis Monory a dit un extrait important d'une oraison funèbre.

     

    La création musicale est aussi un aspect important de votre festival.

    Le samedi 2 juillet, le dernier concert fut un peu particulier : le Festival Couperin a toujours été attentif à la création contemporaine, et passe commande, à un auteur ou à un compositeur, d'une oeuvre ayant bien sûr un rapport avec Couperin, parce que les réactions d'un compositeur – ou même d'un écrivain – actuel face à un patrimoine ancien sont toujours passionnantes. A Champs-sur-Marne, nous avons ainsi eu une Apothéose de Couperin avec un texte de Dominique Fernandez et une musique de Régis Campo, ou encore un Tombeau de Couperin, où j'ai joué une musique composée par Alexandre Markeas. Lui et Campo sont deux anciens résidents de la Villa Medici à Rome.

    Pour 2004, j'ai voulu partir d'un projet littéraire, demander des nouveaux caractères sur le modèle de La Bruyère. J'avais en tête un très jeune auteur, et j'ai fait la rencontre de Florian Zeller, dont j'ai tellement aimé le premier chez Flammarion, Neige artificielle, que j'ai décidé de lui confier ces caractères. Je lui ai présenté les 240 pièces de clavecin de François Couperin, dont certains titres merveilleux l'ont fortement intéressé. Nous sommes mis d'accord sur quatre titres tirés de Couperin et quatre titres à lui, mais à la Couperin. Florian a donc proposé huit petits textes, pour deux comédiens et une comédienne. En regard de ces textes, outre quatre pièces de Couperin, nous avons fait commande à quatre jeunes compositeurs en collaboration avec la Fondation Marcelle et Robert Delacour : Jérémie Roehrer, Karol Beffa, Guillaume Connesson et Jocelyn Sgard. J'aurais pu demander à des compositeurs des deux camps, c'est-à-dire tonal et atonal, mais il m'a semblé souhaitable d'avoir une cohérence musicale s'agissant d'un hommage à un même compositeur. Parmi les comédiens, il y a Nicolas Vaude, qui est un grand ami et avec lequel j'ai notamment fait Le Neveu de Rameau. Je citerai aussi la jeune Chloé Lambert, que l'on voit beaucoup à la télévision en ce moment, et j'aurai aussi le grand plaisir d'accueillir un autre ami, Clément Sibony.

     

    Comment le claveciniste rejoint-il ici le directeur de festival ?

    Le clavecin au Grand Siècle, c'est comme le piano au XIXe siècle, donc le convoyeur de la passion musicale, il est même présent dans les églises. Mais je dis toujours que si je n'avais pas choisi finalement le clavecin, j'aurais fait soit du théorbe soit de la basse de viole : je suis donc très content que nous ayons eu cette année le récital de Claire Antonini. Pour les Nouveaux Caractères, il y a parmi les musiciens Christine Plubeau à la viole de gambe, qui est une excellente musicienne et une grande amie. Nous jouons ensemble depuis quinze ans, au point que je me vois vraiment mal faire du continuo avec quelqu'un d'autre. Nous avons ensemble un projet Caix d'Hervelois, qui est quand même le troisième grand violiste avec Marais et Forqueray. En tant qu'interprète, je n'aime pas réellement que l'on m'impose des programmes, mais pour le festival, si je me concerte beaucoup avec les musiciens et que nous les invitons en général à jouer ce qu'ils ont envie de jouer, je tiens beaucoup à ce qu'ils élaborent des projets possédant une certaine unité, un projet en outre spécialement conçu pour le festival. Par contre, le nom même du festival ne constitue pas réellement un frein, dans la mesure où Couperin sert d'initiateur, sans être cependant un simple prétexte. C'est le cas pour la musique contemporaine par exemple, où les oeuvres créées sont, comme je l'ai dit, toujours reliées à Couperin.

     

    Une idée qui vous tient personnellement très à coeur !

    Il y a une tradition française, il faut la mettre en valeur. Chambonnières a véritablement parrainé Louis Couperin, il l'a aidé à être connu dans la capitale : j'aime l'idée que Couperin, de là où il est en ce moment, puisse parrainer aussi des jeunes compositeurs et musiciens actuels. Dans mon parcours musical, je me rends de plus en plus compte que tout a découlé d'un désir de transmettre un savoir, au concert, au disque, au Conservatoire, et bien sûr au festival ! En ce sens, l'écriture au sens littéral du terme est très importante – par exemple, j'écris moi-même toutes les notices de mes enregistrements.

     

    Votre double casquette fait de vous un observateur privilégié de l'évolution actuelle de la musique classique en général, de la musique baroque en particulier. Pouvez-nous nous dire quelques mots sur la prétendue crise qu'elle traverse en ce moment ?

    Concernant la musique classique, celle qu'Harnoncourt appelle la « musique historique Â», je pense qu'il faut replacer les choses dans leur contexte. Il y a cinquante ans, il y avait à peu près un quart du nombre de festivals que l'on trouve aujourd'hui ! Il y avait aussi beaucoup moins de conservatoires. De même, on avait des livres sur la musique classique, mais quasiment aucun film. Il faut donc nuancer les choses. Ce à quoi nous sommes confrontés, c'est à une crise spécifique du disque classique, voire du disque en général. Et dans ce contexte général, le baroque fait partie des répertoires qui se portent le mieux. Le développement de la musique baroque correspond peut-être à un certain rejet de la musique du XIXe siècle, des grandes institutions symphoniques. On dit souvent qu'on aime plus ses grands-parents que ses parents, on peut peut-être imaginer ici que la musique serait les grands parents – voire les arrière-grands parents –, et le XIXe siècle, les parents ! Mais je tiens vraiment à réagir contre une sorte de pessimisme ambiant qui ne traduit pas la réalité. Globalement, il y a actuellement un effort sensationnel de recherches et d'éditions dans le domaine musical. Prenez simplement l'exemple du Centre de Musique Baroque de Versailles, qui dispose d'une maîtrise très active, et effectue un énorme travail d'éditions.

     

    Quelques mots sur vos derniers projets, passés ou à venir. Vous venez par exemple de sortir un disque Chambonnières.

    De lui, j'ai fait l'intégrale des pièces publiées, avec un certain nombre de pièces manuscrites. Je tenais absolument à le faire, et l'entreprise s'est effectuée en collaboration avec Versailles. Et il y a deux mois, j'ai sorti un disque Daquin chez Tempéraments. Ce qui est intéressant actuellement, c'est que je peux faire des projets dans des lieux qui correspondent à la musique. Avec Tempéraments, je peux faire de l'orgue, à Saint-Michel-en-Thiérache notamment pour Daquin où l'orgue est une merveille. Tempéraments est surtout une maison spécialisée dans la musique française du XVIIe siècle, j'y ai comme projet de faire toute la musique vocale profane de Couperin, avec cinq chanteurs pour des canons, des airs à boire etc. Et très bientôt sortira aussi un enregistrement chez Virgin lié à l'exposition du pastelliste Maurice-Quentin de La Tour, qui était marié à la soprano Marie Fel, laquelle a créé beaucoup de rôles de Rameau. Quentin de La Tour était très mélomane – c'était un familier de La Poplinière –, et on dispose de beaucoup de pièces pour clavecin qui sont les équivalents des pastels, La Dauphine de Rameau par exemple. J'ai donc voulu faire la musique des portraits. Ce programme a bien sûr un lien avec l'exposition Maurice-Quentin de La Tour qui se tiendra à la rentrée.

     

    Le 08/07/2004
    Yutha TEP


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