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ENTRETIENS 05 janvier 2025

Maurizio Kagel, le rire en liberté

Inclassable parce que refusant lui-même toute classification, Maurizio Kagel incarne une liberté musicale qui a marqué de son empreinte tout le XXe siècle, et sert encore de modèle en ce début de XXIe siècle. Le compositeur a accepté de répondre à quelques questions pour Altamusica.
 

Le 07/04/2005
Propos recueillis par Yutha TEP
 



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  • L'intitulé du cycle à la Cité de la Musique, Kagel et le romantisme, peut sembler étrange, vous concernant.

    L'idée est venue de la Cité de la Musique, et à vrai dire elle m'a un peu surpris moi-même. Mais elle est finalement juste, car mes relations avec les romantismes allemand et français sont assez forts. Ces relations ne vont pas forcément dans un sens négatif, mais plutôt dans un sens critique. Il y a de nombreuses années, j'ai écrit que si on ne comprenait pas le romantisme, si on le négligeait, on ne pouvait pas comprendre l'époque moderne, car il y a une continuité dans l'histoire de la musique, qu'il faut comprendre, plutôt que de nier.

     

    Cela implique une certaine conscience de l'histoire.

    Aucun compositeur important ne saurait être fermé au rapport à l'histoire. Il y a tellement d'exemples, sans rapport avec ce qui s'est passé avant vous, c'est impossible de trouver son langage personnel. La musique est un continuum, il faut le savoir, elle ne commence pas avec vous, elle a commencé avant vous. Cela ne concerne pas seulement les compositeurs actuels, je parle aussi de Schumann et de son rapport à Bach, de Bach et de son rapport à Buxtehude, Vivaldi etc. Il y a toujours un rapport très fort, négatif ou positif.

     

    Cela peut prendre un sens particulier dans le paysage actuel de la création musicale française.

    Je connais évidemment les querelles idéologiques qui ont cours en France, notamment vis-à-vis du romantisme. Pour moi, toute idéologie mène au fondamentalisme, et c'est toujours négatif, c'est nier la possibilité qu'il y ait justement une autre possibilité, une autre chance pour une esthétique différente. Je suis contre ce genre d'attitude, et dans les années les plus acharnées du sérialisme, j'ai essayé une nouvelle possibilité d'organisation de l'harmonie, parce que je n'étais pas d'accord avec l'harmonie dodécaphonique. Il se peut alors que j'ai été « néo-tonal Â» vingt ans avant le mouvement de retour à la tonalité. Mais je n'ai jamais tenté de trouver une formule ou une étiquette pour mes recherches et pour mes pièces. Ce n'est de toute façon pas à moi de trouver des noms de bataille.

     

    Vous êtes pour beaucoup un symbole de liberté esthétique.

    Cela me rend naturellement très heureux, car les idéologies et la prétention à la vérité de certains systèmes mènent au mensonge. Il faut laisser à chacun la possibilité de montrer qu'il a quelque chose à dire. On peut être ou ne pas être d'accord avec Hans Werner Henze, mais il a effectué un travail énorme, qu'il faut absolument faire entendre. Prétendre que cela n'en vaut pas la peine, c'est établir une sorte d'inquisition.

     

    Votre liberté va jusqu'à prendre justement certaines libertés avec le monde figé du concert. Vous n'hésitez pas, par exemple, à bousculer le cérémoniel du concert.

    Oui, j'ai entre autres mis en scène ma naissance dans Pour le 24 décembre. Et par contre, j'ai mis en scène la mort du chef dans Finale. C'est simplement que pour moi, les chefs qui sont morts en faisant leur travail sont les plus heureux. Mon idée était à plusieurs couches. Il y a bien sûr de l'humour noir, dont je suis très adepte.

     

    L'humour, voilà un élément important de votre oeuvre.

    L'humour est la chose la plus sérieuse que je connaisse. Il y a peu d'auteurs aussi immensément tragique et aussi profondément métaphysique que Charlie Chaplin, mais on rit tout le temps et on est très touché. Dans le domaine de la musique sérieuse, on a un énorme problème avec le rire, parce que ça n'est tellement pas sérieux. Il y a par exemple deux auteurs, en littérature, qu'on lit de manière fausse, il s'agit de Kafka et Beckett. Tous deux sont de très grands humoristes, mais on ne rit jamais en les lisant, les gens s'occupent de leur métaphysique, absolument pas de leur humour. Leur humour n'est pourtant pas si caché que cela, il faut simplement les comprendre. Vous savez, le sérieux est tellement plus commode. Faire rire, c'est plus difficile que de faire pleurer.

     

    Le metteur en scène Yannis Kokkos voit dans l'ironie cynique de ses collègues allemands une défense contre le traumatisme du nazisme.

    Je dois réfléchir à cela, mais c'est une idée très intéressante. Le rire chez moi n'est absolument pas provocateur, j'aime le rire pour le rire. Je lui accorde une valeur très profonde, un pouvoir libérateur réel.

     

    Vous n'hésitez pas non plus à « libérer Â» vos interprètes. Alexandre Tharaud par exemple, a dû apprendre à crier dans son disque chez Aeon consacré à vos pièces.

    Quand j'ai demandé à Alexandre de crier, je savais que ce n'était pas son métier, mais il s'agissait d'une dramaturgie du son, il ne fallait pas simplement crier ou rire. Au passage, je dois dire que son disque est vraiment remarquable ! Mon but n'est pas réellement de déstabiliser l'interprète, à vrai dire, mais naturellement, l'histoire est pleine d'exemples de ce type. Repenser les choses, c'est l'une des activités les plus belles qui existent.

     

    C'est une démarche que vous avez adoptée quand vous avez fait des films.

    Le film et moi, c'est vraiment une longue histoire. Pour résumer les choses, c'est ma façon de faire un opéra. Le théâtre est plein d'impossibilité. Dans un film, vous coupez vous-même, vous faites vous-même tout à la main. Vous évitez les problèmes que l'on rencontre à l'opéra : Madame X est malade, un musicien est manquant. Quand vous terminez un film, vous savez que c'est exactement cela que vous voulez, à condition bien sûr d'avoir eu un pouvoir de décision sur les prises de vue, la prise de son, le montage. Quand vous écrivez pour un théâtre, vous mettez cela dans les mains de personnes étrangères. En cela, le film est pour moi un énorme défi. En outre, vous pouvez montrer des choses incroyables, en jouant avec les plans, plan américain, plan général. Tout cela vous pouvez le composer, au théâtre vous êtes toujours devant un plan général, alors qu'au cinéma vous composez avec l'existence.

     

    Notre époque s'interroge beaucoup sur l'utilisation de l'image, vous semblez avoir mené l'expérience bien avant tout le monde.

    Peut-être, mais franchement, je ne me suis jamais demandé, pour toutes les choses que j'ai faites, si j'étais le premier ou pas. Ce n'est pas important, ce qui est important, c'est l'oeuvre.

     

    Le 07/04/2005
    Yutha TEP


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