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ENTRETIENS 28 novembre 2024

Rinaldo Alessandrini, Monteverdi à la lettre
© Ferruccio Nobile

Chacun des Livres de Madrigaux de Monteverdi enregistrés par Rinaldo Alessandrini et son Concerto Italiano a fait l'effet d'une bombe. Quatorze ans après sa première gravure, il a remis le Sixième Livre sur le métier pour Naïve, avant de compléter le Huitième Livre, qu'il vient de donner dans son intégralité à la Cité de la Musique.
 

Le 21/04/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Qu'est-ce qui vous a incité à réenregistrer le Sixième Livre de Madrigaux de Monteverdi, quatorze ans après votre première gravure ?

    C'était une exigence que de pouvoir revisiter le livre qui a marqué le début du travail de Concerto Italiano, et de mesurer l'évolution de nos idées et de nos possibilités. En vérité, notre approche reste fondamentalement la même, mais la manière a beaucoup changé. Nous avons appris à faire davantage confiance à la musique, à reconnaître sa puissance intrinsèque, et nous avons travaillé sur la possibilité de conférer davantage de naturel à l'expression de cette puissance.

     

    Êtes-vous resté fidèle à l'option de donner tous les madrigaux avec un accompagnement de basse continue ?

    Nous avons encore une fois utilisé l'édition de 1620, où la basse continue accompagne tous les madrigaux. Sur le plan philosophique et esthétique, l'utilisation de la basse continue souligne la nouveauté de la musique, ainsi que le goût pour cette nouveauté. Le Sixième Livre, qui à l'instar du Cinquième Livre déborde d'invention, est un peu en marge de la grande tradition du madrigal a cappella, et le fait d'utiliser la basse continue d'un bout à l'autre entre dans cette logique de nouveauté.

     

    Qu'en est-il de la liberté rythmique ? Dirigez-vous ces madrigaux ?

    Il s'agit d'une pratique historique. Frescobaldi l'indique clairement dans une de ses préfaces : les madrigaux de la seconda prattica sont si complexes qu'il est nécessaire d'indiquer les nombreux changements de tempi avec la main. La battue est donc une aide technique pour permettre aux chanteurs de suivre ces changements.

     

    Dans quelle mesure le passage de la monodie à la polyphonie dans le Lamento d'Arianna nous renseigne-t-il sur les méthodes de composition de Monteverdi ?

    Ce passage nous informe sur la conception que Monteverdi avait de l'harmonie. On passe de deux voix dans la version monodique à cinq dans la version polyphonique. L'harmonie est donc bien plus complète, ce qui éclaire certains passages obscurs de la première version. La comparaison est effectivement très intéressante.

     

    En diversifiant l'art du madrigal dans les Septième et Huitième Livre, Monteverdi ne le précipitent-il pas vers sa perte ?

    Avec les deux derniers livres, Monteverdi doit faire face à la mode, c'est la donnée la plus évidente. Mais on peut aussi se demander s'il n'avait pas l'exigence de réinventer le genre du madrigal. D'autant qu'il n'abandonne jamais la polyphonie : il compose des grands madrigaux à huit voix, dont deux sans texte confiées aux violons. Il est intéressant de voir que la technique de composition polyphonique, dont il ne cesse d'explorer les possibilités, répond très bien à ses exigences.

    On n'en constate pas moins un changement total de perspective et de couleur à travers le travail sur la basse continue, afin de redonner vie à un genre délaissé au profit de l'opéra et de la musique sacrée, qui offraient des conditions plus intéressantes, mais aussi de la cantate pour voix seule et basse continue, alors en plein essor. Le Huitième Livre est un cas à part. Comme dans la Selva Morale e spirituale, Monteverdi y publie ses travaux les plus aboutis. Il est difficile d'admettre qu'aucun compositeur n'ait été capable de suivre cette voie, mais Dieu merci, nous avons le Huitième Livre, réalisé par un compositeur au faîte de son génie.

     

    Comment concevez-vous la déclamation du Testo dans le Combat de Tancrède et Clorinde ?

    Monteverdi est parfaitement clair sur ce point : le Testo doit imiter les passions de son récit. Sa déclamation est sans doute un peu plus objective au début, mais dès que le drame devient plus humain, il fait passer à travers sa voix l'émotion générale de la musique. Ce mélange un peu ambigu de chant et de récitatif, d'attitudes vocales et théâtrales constitue un art extrêmement raffiné. Cette musique échappe en effet à une définition trop rigide, et tourne constamment son visage dans des directions différentes.

     

    Est-ce pour cette raison que vous faites toujours appel à des chanteurs italiens ?

    La langue italienne est basée sur les voyelles, dont la juste couleur est primordiale. Avec les chanteurs italiens, je peux me concentrer davantage sur l'utilisation de ces couleurs, d'autant que leur compréhension du texte est à la fois plus immédiate et plus profonde, notamment en ce qui concerne le sous-texte. La marge de manoeuvre est donc plus importante qu'avec des chanteurs qu'il faut corriger en permanence. Comme je ne parle pas l'allemand, un problème similaire se pose à moi lorsque je dirige Bach. J'effectue donc un travail préparatoire qui ne se borne pas seulement à une traduction littérale, mais qui permet de situer le texte dans une tradition culturelle très forte et une ambiance expressive très précise. Cela demande énormément de connaissances.

     

    Avez-vous l'intention d'enregistrer les opéras de Monteverdi ?

    Je vais enregistrer l'Orfeo l'an prochain pour le 400e anniversaire de la première exécution à Mantoue. En ce qui concerne le Retour d'Ulysse et le Couronnement de Poppée, il est un peu difficile de restituer au disque la magie du théâtre. Mais à titre expérimental, j'aimerais enregistrer Poppée dans la version de Cavalli, avec les transpositions données, et donc des changements radicaux par rapport à certains rôles. On utilise en effet cette version pour les notes, mais sans prendre en considération toutes les informations sur la vie théâtrale de l'époque de Cavalli, qui a copié le manuscrit de Monteverdi en apportant de nombreuses modifications, car il ne disposait sans doute pas d'une troupe de chanteurs capables de chanter cette partition telle que Monteverdi l'avait composée. Il existe suffisamment d'enregistrements de cet opéra pour envisager ce type de travail historique et musicologique.

     

    Vous êtes de ceux qui préfèrent confier le rôle de Néron à un ténor.

    Monteverdi témoigne toujours son amour de la vérité. Il est donc difficile d'accepter qu'il ait pu composer un rôle masculin pour une voix de femme : Orfeo, Ulisse, le Testo et Tancredi sont des ténors. D'autre part, on trouve dans la musique des signes qui ne trompent pas. Le duo entre Lucain et Néron, qui est certainement de Monteverdi, est écrit pour deux ténors, tandis que le duo final, pour deux sopranos, est de Sacrati.

    Il est vrai que dans son manuscrit, Cavalli note le rôle de Néron en clé de soprano, mais il indique que le duo avec Lucain doit être coupé, sans doute parce qu'il ne disposait pas de chanteurs capables d'en surmonter les difficultés, et qu'il avait compris qu'avec soprano et ténor, il serait totalement déséquilibré. Il a donc préféré couper la scène entière. Poppée est un opéra très problématique, et il n'y a malheureusement pas de solution à ce problème. Mais sur le plan théâtral, je préfère avoir un ténor.

     

    Vous accompagnez Lorenzo Regazzo dans un récital d'airs pour basse de Vivaldi qui vient de paraître chez Naïve. Qui est à l'origine de ce disque ?

    Frédéric Delaméa, le musicologue qui supervise la collection Vivaldi, nous a proposé de réaliser ce disque en travaillant sur du matériel totalement inédit, notamment des airs tirés de versions supplémentaires de quelques opéras de Vivaldi. C'était un projet très intéressant, car au XVIIIe siècle, la voix de basse était souvent négligée au profit des sopranos et des altos.





    À voir :

    Sixième et Huitième Livres de Madrigaux de Monteverdi, Cité de la musique les 22 et 23 avril.

    À écouter :

    Sixième Livre de Madrigaux de Monteverdi, Concerto Italiano, CD Naïve

    Airs pour basse de Vivaldi, avec Lorenzo Regazzo, Concerto Italiano, CD Naïve

     

    Le 21/04/2006
    Mehdi MAHDAVI


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