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ENTRETIENS |
22 novembre 2024 |
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Êtes-vous ballerine par vocation ou par hasard ?
Ça serait plutôt par hasard, au moins au départ. Petite fille, je n'avais aucune activité particulière extra scolaire. Un jour, on nous donna comme sujet de rédaction de raconter ce que nous faisions pendant notre temps libre. Je n'avais rien à dire. J'ai demandé à mes parents de me faire faire quelque chose. Ils m'ont dit de leur dresser une liste de mes souhaits. J'ai mis danse, gym, anglais, catéchisme, et je me suis mise à tout faire. Au conservatoire de Garches, les cours de danse m'ont bien plu et six mois après, bien que mon père ne était pas d'accord, je me suis présentée à l‘École de danse, après m'être préparée au cours de Madame Goubé salle Pleyel. J'ai été prise, mais j'avais tout à apprendre. C'est sans doute ce qui a plu à Claude Bessy. |
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L'adaptation si rapide à une nouvelle vie ne fut pas trop difficile ?
Dès le départ, j'ai beaucoup aimé, y compris l'internat, mais c'était terrible pour mes parents. J'étais si heureuse d'être là , que je ne leur donnai quasiment jamais de nouvelles. En même temps, je découvrais ce qu'était vraiment ce métier, tout ce que je n'avais pas et qu'il allait falloir acquérir. On nous ouvre les yeux tout de suite. J'ai redoublé la sixième division parce que j'étais très jeune, mais à part ça, je n'ai pas eu de problèmes pendant ma scolarité. Claude Bessy m'aimait bien et m'a beaucoup aidée. Au bout de quelques années, quand je suis arrivée en première division, je commençais à être lassée de l'internat et par chance, c'est juste à ce moment là qu'il est devenu facultatif. Comme j'habitais à côté, ce fut très facile de sortir pour rentrer chez moi tous les soirs. |
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Qu'y a-t-il eu de facile et de difficile pour vous dans l'apprentissage et la pratique de la danse ?
Le plus difficile vient des facilités que j'ai à faire certaines choses naturellement sans qu'elles soient pour autant exécutées de façon rigoureuse et adéquate. J'ai plutôt des qualités de garçon, avec de la batterie, du saut, des pirouettes, mais moins une ligne de jambes comme on les aime à l'Opéra avec un cou de pied assorti. Je dois toujours être vigilante pour ne pas me contenter de ce que je fais facilement. Je me bats toujours contre mes pieds et mes jambes, surtout dans le classique. |
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Une fois dans le corps de ballet, vous semblez n'être qu'une ballerine parmi les autres, et puis, brusquement, vous sortez du lot. Comment expliquez-vous cela ?
Je suis rentrée première de ma promotion dans le corps de ballet. J'étais très attendue dans le bon et le mauvais sens du terme. J'ai mal vécu le mauvais et j'ai pris vingt kilos. Je n'ai jamais été quelqu'un qui se battait contre les autres. Je me battais contre moi-même. En arrivant avec l'image de celle qui voulait écraser tout le monde, j'ai dû vouloir montrer, inconsciemment, que je n'étais pas dangereuse. Cela a sûrement été l'une des causes de ma prise de poids. Je suis une battante, mais jamais contre les autres. Trois années difficiles, sans pouvoir perdre ces kilos. Grâce à Brigitte Lefèvre qui m'a fait confiance, je suis restée. Elle a tenu bon pour m'aider. Et puis, à la mort de mon père, j'ai eu un choc. J'ai compris que je ne devais par m'arrêter à ce qui se passait à l'Opéra, j'ai tout relativisé et j'ai perdu vingt kilos en un an. |
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Pourquoi est-ce d'abord dans le répertoire contemporain que vous vous êtes alors d'abord révélée ?
Tout a commencé avec Pina Bausch et le Sacre du printemps. J'étais encore trop grosse à cette époque, mais elle m'a repérée quand même. Je m'étais réfugiée au fond de la scène et elle m'a mise devant, ce qui a surpris tout le monde. Pour moi, la violence de cette chorégraphie était une possibilité d'extérioriser toute ma colère contre moi et contre les autres. Ensuite, il y a deux ans, c'est Angelin Preljocaj qui m'a confié une vraie responsabilité. J'avais vraiment envie d'avancer, de ne pas avoir perdu mes kilos pour rester quadrille. Quand Preljocaj est venu pour sa création de Médée, j'a saisi l'occasion d'une audition supplémentaire qu'il faisait pour trouver une remplaçante à une danseuse blessée. Il m'a choisie et à partir de là , je me suis sentie de mieux en mieux et j'ai dansé de plus en plus. Après, j'ai été Eurydice dans l'Orphée et Eurydice de Pina Bausch, où je tenais pour la première fois un ballet sur mes épaules, avec un mois et demi de répétitions. Parallèlement, je montais deux années de suite au concours, pour arriver sujet, mais chaque fois avec des variations classiques. |
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Dans quel univers vous sentez-vous aujourd'hui le plus à l'aise, classique ou contemporain ?
C'est difficile à dire. Par la force des choses je me sens mieux dans le contemporain où j'ai plus d'expérience puisque j'y ai assumé de plus grandes responsabilités. On peut être facilement choisie par un chorégraphe pour un rôle de soliste dans sa création, alors que dans un grand ballet classique, on tient compte de la hiérarchie. Brigitte Lefèvre n'hésite pas à donner leur chance à des jeunes, mais pour les grands rôles classiques, il est normal qu'on y distribue d'abord les étoiles et les premiers danseurs. Mais par goût, le classique me plaît autant que le contemporain et j'attends avec impatience de pouvoir en danser davantage, tout en considérant plus gratifiant parce qu'on s'y montre davantage, de participer à une création, que d'être dans une ligne de cygnes. D'autant que je fais presque plus de corps de ballet depuis quelque temps. |
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Quand vous avez dansé le Cygne noir pour le spectacle Jeunes danseurs, vous êtes trouvée pour la première fois confrontée à un autre type de défi, celui d'affronter un public qui a vu des très illustres ballerines dans ce même pas de deux. Comment avez-vous vécu cela ?
C'est Brigitte Lefèvre qui m'a désignée pour faire partie du spectacle et qui m'a proposé ce Cygne noir, comme un défi. Je sentais donc à la fois le poids du rôle, avec toutes les références dont il est chargé, et le poids de ce défi à relever, car il était une marque de confiance supplémentaire de la part de Brigitte Lefèvre. C'était assez oppressant. Au départ, je n'arrivais pas être moi-même. Je cherchais à être une autre. Et puis, au fil du travail avec Vincent Chaillet et Sébastien Bertaud, j'ai pris mes marques et je me suis décontractée. Nous avons eu beaucoup de plaisir à danser tous les trois ensemble, car dans la version Noureev, ce pas de deux est en fait un pas de trois. J'ai d'abord travaillé avec Vincent, car Sébastien était au Japon. Vincent est très sérieux, très travailleur, et ce qu'il est parvenu à faire est remarquable pour un danseur de vingt et un ans. Nous avons eu de gros moments de doute, car ce Cygne nous paraissait une montagne, mais nous sommes arrivés à la gravir. Quand Sébastien s'est joint à nous, nous avions déjà résolu pas mal de problèmes et ce fut d'autant plus agréable. |
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Le cygne noir est un défi technique mais n'y a-t-il pas aussi tout travail à faire sur le personnage ?
C'est vrai. Je savais qu'en un mois et demi je ne pourrais pas acquérir ce que je n'ai pas encore, que je ne pourrais par rivaliser avec Rosella Hightower ni Natalia Makarova. Il fallait que je me serve de mes qualités, et que, justement, je m'appuie sur le personnage. J'ai d'ailleurs évolué au fil de spectacles, essayant d'être parfois plus douce, parfois plus lumineuse. Je ne pouvais pas rester figée car j'étais toujours en progression. |
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En continuant sur cette lancée, qu'allez vous danser dans les semaines et les mois à venir ?
Dans l'immédiat, je participe au programme Béjart, dans le Mandarin merveilleux et Variations pour une porte et un soupir, où il faut improviser. L'année prochaine, j'ai été choisie par Nacho Duato pour l'oeuvre qui entre au répertoire. S‘il y avait un rôle classique que j'aimerais faire et qui peut être à ma portée, ce serait la Reine de Wilis dans Giselle. J'en ai vraiment envie ! |
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