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ENTRETIENS 17 novembre 2024

RamĂłn Vargas, la voix de l'Ă©quilibre

Quelque peu occulté par le phénomène Villazón, Ramón Vargas n'en reste pas moins le plus beau ténor mexicain du moment grâce à la splendeur solaire de son timbre et à la sobriété d'une expression purement musicale. Habitué des jeunes premiers romantiques, il a troqué ses contre-ut contre les redoutables coloratures et les sombres récitatifs d'Idoménée.
 

Le 20/12/2006
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour aborder IdomĂ©nĂ©e ?

    J'ai chanté Titus au Mexique en 1993, puis à Florence, il y a trois ans, mais je n'ai abordé Idoménée que l'été dernier à Salzbourg. Cet opéra n'est pas le plus populaire de Mozart, mais c'est celui que je préfère. Il n'est jamais allé aussi loin dans l'expérimentation, en utilisant par exemple des chromatismes très nouveaux pour l'époque. Il était très curieux, mais peut-être avait-il peur qu'on le trouve trop moderne.

     

    Pour un ténor habitué au Duc de Mantoue et à Roméo, la tessiture n'est-elle pas grave ?

    Je chante pour mon plaisir un si naturel dans la cadence de Fuor del mar, mais le rôle est en effet assez grave. Mozart l'a écrit pour un ténor déjà âgé, qui ne pouvait sans doute plus monter dans l'aigu. À l'époque, les voix de ténors n'étaient d'ailleurs pas aussi développées qu'aujourd'hui, et montaient très rarement au-dessus du si bémol. Ce n'est que plus tard que des compositeurs comme Bellini et Donizetti ont écrit des parties plus hautes et difficiles. Mozart pensait surtout à l'harmonie, et utilisait la voix comme un instrument : certaines des coloratures d'Idoménée sont écrites comme pour la clarinette.

     

    Comment parvenez-vous à entretenir la souplesse nécessaire à l'exécution des coloratures, tout en chantant des rôles plus lourds ?

    L'important n'est pas de savoir ce qu'on chante, mais comment on le chante. J'ai commencé ma carrière avec Rossini, et j'ai récemment abordé Riccardo dans un Bal masqué et le rôle-titre de Don Carlos, mais lorsque je me retrouve face à des coloratures, je suis toujours capable de les exécuter, rapidement et proprement. Ce qui veut dire que ma voix est toujours flexible, et que je ne m'écarte pas du droit chemin.

     

    Votre approche stylistique de Mozart diffère-t-elle de celle des autres compositeurs que vous chantez ?

    Mozart est venu en Italie pour apprendre à écrire des opéras, et a été très enthousiasmé par la capacité des italiens à chanter à voix pleine et vibrante. Je ne sais pas de quand date cette idée qu'il faille chanter Mozart et le baroque avec des voix blanches. Cela permet sans doute une plus grande netteté d'intonation, pour mettre en valeur le caractère novateur de certaines harmonies par exemple, mais je n'aime pas cela. J'ai commencé à l'église, dans un choeur d'enfants professionnel, en chantant du grégorien et de la polyphonie. Je suis donc venu au chant par la musique, et non l'inverse, ce qui veut dire que mon approche de l'opéra est d'abord musicale. Il s'agit d'un art généreux, où l'on peut facilement se laisser aller aux effets pour exprimer les émotions qui doivent passer à travers la voix.

    Je ne prétends pas chanter Mozart comme Verdi et Puccini pour tenter de convaincre le public. J'essaie simplement de respecter ce que Mozart a écrit avec tant de netteté et de pureté, pour que l'émotion naisse du point de rencontre entre la musique et les mots, de cet équilibre qui n'existe ni chez Rossini, où elle ne passe qu'à travers la musique, ni chez Verdi, où elle s'exprime surtout à travers les mots. J'essaie donc de privilégier la pureté du son, de la musique, et des émotions.

     

    Idoménée n'a-t-il pas quelque chose de terrifiant, notamment par la promesse faite à Neptune de lui sacrifier la première personne qu'il rencontrerait une fois sauvé du naufrage ?

    Dans l'antiquité, offrir des vies humaines aux dieux était assez courant, qu'il s'agisse du sacrifice d'Isaac ou d'Iphigénie. Dans le mythe originel, Idoménée tue son fils et continue de vivre. Mais la perspective humaniste de l'opéra de Mozart accentue l'horreur du sacrifice. Alors qu'Abraham accepte de céder l'unique fruit de son union avec Sarah, qui plus est l'enfant de la vieillesse, Idoménée cherche à sauver son fils par tous les moyens. Contrairement au Dieu omnipotent d'Abraham, Neptune adopte une position vindicative, très humaine. On peut donc mieux comprendre les décisions d'Idoménée, et souffrir avec lui, car c'est avant tout quelqu'un de bien. Il regrette la promesse faite à Neptune : devoir tuer quelqu'un sitôt de retour après dix ans loin de son pays lui est tout sauf agréable.

    Mozart le dépeint d'abord comme un père, d'autant qu'il n'est jamais question du pouvoir. Il finit par se rendre compte qu'il est vieux et fatigué, qu'il n'a plus la force de régner, et qu'il n'aurait sans doute pas pu tuer le monstre comme son fils vient de le faire. Il est aussi un peu fanatique : lorsque le messager lui annonce la victoire de son fils, il persiste à n'envisager que le pire. Il a beaucoup souffert, et il est heureux que son fils soit finalement sain et sauf, mais aussi nostalgique de cette force qu'il sent l'abandonner.

     

    Thomas Hengelbrock, créateur du Balthasar-Neumann-Ensemble qui joue sur instruments d'époque, n'en revendique pas moins son attachement à la grande tradition romantique. Comment a-t-il concilié ces deux aspects dans cette production d'Idoménée, où il dirige l'Orchestre de l'Opéra de Paris ?

    À la fin du XIXe siècle, un prêtre italien, Rafaelle Cassimiri, a participé à la réhabilitation et au renouveau de la polyphonie de la Renaissance en lui appliquant un vocabulaire dynamique et expressif romantique. Il ne faut sans doute pas outrepasser certaines règles, jusqu'à transformer du Palestrina en Gounod, mais je pense qu'il a eu raison. Thomas Hengelbrock a une approche très moderne de la musique de Mozart, et j'aime beaucoup cela – c'est aussi pourquoi il s'entend si bien avec Luc Bondy qui confère aux personnages une dimension humaine très proche de la sensibilité contemporaine – mais il doit prendre garde de ne pas aller trop loin dans la tension, car les sentiments sont exprimés de manière bien plus intérieure qu'à l'époque romantique. Mozart est encore tributaire d'une certaine rhétorique baroque, il ne faut donc pas lui faire violence.

     

    Un rôle comme Bajazet, père et roi déchu, dans Tamerlano de Haendel, vous attire-t-il ?

    J'aime beaucoup cette musique, mais le problème est de trouver un directeur de théâtre qui conçoive ma manière de chanter ce répertoire. Lorsque Mozart a composé Idoménée, il disposait d'un orchestre particulièrement avancé sur le plan technique : il regardait vers l'avenir, alors que nous regardons en arrière. Pourquoi ne pourrions-nous pas chanter ces opéras avec une technique d'aujourd'hui ? Nous chantons certainement mieux qu'à l'époque, car la technique vocale s'est beaucoup développée.

    Il s'agit de trouver un équilibre, car nous avons à l'esprit, et à l'oreille des références musicales bien plus variées que les créateurs des opéras de Haendel, alors même que les études musicologiques nous ont beaucoup appris sur la manière d'interpréter ce répertoire. Mais c'est pour moi une erreur que de vouloir imiter un son dont personne n'a la moindre idée. On m'a déjà demandé de chanter sans vibrato, mais j'en suis incapable.

     

    Avez-vous eu des difficultés à incarner un vieil homme las de régner après tant de jeunes premiers ?

    Quelqu'un a écrit que j'étais trop jeune pour chanter Idoménée, mais en réalité, il a plus ou moins mon âge. C'est un défi intéressant que d'interpréter différents types de personnages. N'est-il d'ailleurs pas plus difficile de trouver un jeune homme de 19 ans pour chanter Roméo ?

     

    Écoutez-vous des enregistrements lorsque vous apprenez un rôle ?

    Il y a évidemment des opéras que j'ai entendus de nombreuses fois durant mes études, mais durant la période d'apprentissage, je n'écoute rien, parce que je ne veux pas me laisser distraire de ma propre interprétation. D'autant qu'il est si facile d'imiter, ou d'apprendre les erreurs des autres. J'aime l'Idomeneo de Pavarotti, bien qu'il ne chante pas les coloratures, car ses récitatifs sont magnifiques. Certains le trouvent froid, mais il me semble au contraire très chaleureux. Sa voix est si libre, si ouverte, qu'il peut tout exprimer à travers elle.

     

    Vous avez commencé avec Rossini, et vous chantez désormais des rôles verdiens plus larges. Quelles sont vos limites ?

    Je ne me fixe pas de limites, c'est ma voix qui m'en impose. Un chanteur doit être à l'écoute de sa voix. Si on chante un rôle, et que la voix est fatiguée à mi-parcours, c'est qu'il ne convient pas. Il faut suivre sa voix, car l'inverse peut être dangereux. Je chante depuis de nombreuses années, et j'ai vu beaucoup de stars avec des hauts et des bas. L'intelligence, l'humilité, la prudence et le professionnalisme sont les clés de ce métier. Si dans dix ans, ma voix est aussi saine qu'aujourd'hui, ce sera ma plus grand satisfaction.

     

    Le 20/12/2006
    Mehdi MAHDAVI


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