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ENTRETIENS |
23 novembre 2024 |
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Il est très inhabituel de vous entendre dans le répertoire italien.
En principe, les chanteurs allemands ne chantent que le répertoire allemand, et c'était la première fois depuis des années qu'on me proposait un rôle du répertoire italien, et plus particulièrement verdien. Cela m'a donc fait très plaisir lorsque Gerard Mortier m'a invité à chanter Fiesco. James Conlon, sous la direction duquel j'ai récemment chanté le rôle à Los Angeles, a une connaissance profonde de ce répertoire, ainsi qu'une affection particulière pour cette oeuvre, et il m'a beaucoup aidé dans mon travail. |
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Dans le livret de Piave et Boito, vingt-cinq années séparent le prologue du premier acte de Simon Boccanegra. Comment l'exprimez-vous, tant sur le plan vocal que physique ?
Tenter de changer de couleur vocale serait un mauvais choix. C'est évidemment une question de jeu, de maquillage, mais surtout de style d'écriture. Dans le duo avec Gabriele Adorno, d'un style très inhabituel, à l'ancienne, quasi-religieux, l'écriture du rôle de Fiesco rompt avec celle du prologue. Mais pour sa confrontation avec Simon au troisième acte, alors que les anciennes querelles refont surface, Verdi revient à son style initial. |
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Dans ce duo, Fiesco se rend justement compte qu'il a eu tort toute sa vie, ce qui l'isole davantage encore.
Fiesco a tout perdu, sa fille, le pouvoir. Il finit par réaliser, avec le poids des ans, que patriciens et plébéiens peuvent peut-être s'entendre s'ils font l'effort de s'écouter, par-delà les règles, l'éducation. Cette problématique est intemporelle, et ne se limite pas au domaine politique. Fiesco a tout perdu, sa fille, le pouvoir. Le soir de la première, une grève des techniciens nous a contraints à jouer sur un plateau nu. Au bout d'un quart d'heure, le metteur en scène a trouvé cela très intéressant. C'était en effet une expérience très particulière, notamment dans l'air : chanteur au milieu de cet immense plateau m'a permis de ressentir réellement la solitude du personnage. |
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Comment avez-vous trouvé votre voie dans cette production étroitement liée au contexte politique contemporain ?
J'ai pris part à beaucoup de mises en scène contemporaines, et je m'y suis plus ou moins habitué. J'avais entendu dire que cette production était vraiment concentrée sur la dimension politique, et que, peut-être, l'émotion lui faisait défaut – élément sans lequel un opéra de Verdi ne peut se concevoir. Mais il me semble que nous sommes parvenus à concilier ces deux aspects durant les deux semaines de répétions. Il ne s'agit certes pas d'une pièce contemporaine – mieux vaut écrire une oeuvre nouvelle pour traiter des problèmes d'aujourd'hui –, mais cette approche permet de la relier à notre époque. |
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N'est-il pas dangereux de ne chanter que Wagner, ou plus généralement le répertoire allemand ?
Bien que la langue, et donc les couleurs soient différentes, la meilleure manière de chanter Wagner, aussi bien en termes de legato que de gestion de la tessiture, est assez verdienne ! De plus, je ne fais pas seulement de l'opéra, mais aussi des concerts, du Lied, et cela m'aide beaucoup. D'ailleurs, je n'ai pas abordé, parmi les rôles wagnériens, ceux que j'estime trop dramatiques. Il y a quelques années, un metteur en scène m'a demandé si je n'en avais pas assez de ne chanter que des rôles de vieillards. Je lui ai répondu qu'à l'inverse d'une Pamina, chaque représentation me rapprochait de ces personnages ! Plus on apprend de la vie, plus la voix change, prend ses marques, et je chante plus facilement le Roi Marke aujourd'hui, à 44 ans, que lors de mes débuts dans le rôle en 1993. |
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Dans quels rôles avez-vous débuté ?
Au départ, je ne voulais en aucun cas devenir chanteur d'opéra. J'étais un musicien d'église, organiste et chef de choeur. Je n'étudiais le chant que pour faire quelques concerts, mais mon professeur me disait toujours que ma voix était faite pour la scène. Après mon examen, j'ai chanté la Flûte enchantée en version de concert, on m'a proposé de passer une audition, et j'ai été engagé dans la troupe de l'Opéra d'Essen, où j'ai pu me familiariser avec le répertoire. En faisant mes débuts à l'âge de 27 ans dans le rôle du Roi, dans Aïda, je me suis retrouvé dans un monde où je n'avais jamais mis les pieds auparavant ! J'ai abordé Wagner deux ans plus tard avec Fafner, après avoir chanté de petits rôles dans les Joyeuses commères de Windsor, la Dame de Pique. |
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Jouer la comédie était donc tout à fait nouveau pour vous.
La première fois, c'était un grand défi, et je tremblais de peur. Je suis donc allé voir le metteur en scène pour lui demander s'il pouvait me faire travailler seul, en dehors des heures de répétitions. Il a accepté, et j'ai notamment pu apprendre à jouer les dialogues parlés des Joyeuses commères de Windsor, ce que je n'avais jamais fait de ma vie ! |
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Écoutiez-vous tout de même de l'opéra avant de commencer votre carrière ?
Dois-je dire la vérité ? L'idée de chanter l'opéra était un cauchemar pour moi ! Même si j'ai totalement viré de bord, je préfère aller au concert plutôt qu'à l'opéra – mais ne le dites surtout pas à mes collègues ! Et mon coeur appartient à la musique de Jean-Sébastien Bach, que je joue au piano ou à l'orgue lorsque je suis chez moi. Durant la semaine sainte, nous avons eu deux jours de repos que j'ai passés à écouter la Passion selon saint Matthieu. J'en ressentais le besoin. Malheureusement, depuis que j'ai commencé une carrière wagnérienne, on ne me propose plus de chanter cette musique, sans doute parce qu'on s'imagine que je n'en suis plus capable. |
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Qu'attendez-vous d'un chef d'orchestre ?
J'ai bien entendu mes propres idées sur les rôles, mais je reste très ouvert à l'influence du chef d'orchestre. S'il s'agit d'une oeuvre que j'ai beaucoup chantée, je peux aussi essayer de le convaincre. Je n'aime pas les chefs qui refusent d'écouter l'opinion des chanteurs. |
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