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ENTRETIENS 22 novembre 2024

David Fray, le clavier bien trempé
© Sumiyo Ida

Personnalité forte et originale dans la nouvelle génération de pianistes français, David Fray signe un CD Bach-Boulez pour son entrée chez Virgin et joue en concert au Festival de Saint-Denis avec le violoniste Valery Sokolov. Rencontre avec un jeune musicien de caractère, qui sait parfaitement ce qu'il veut.
 

Le 26/06/2007
Propos recueillis par Gérard MANNONI
 



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  • Parler d'un « jeune Â» pianiste, n'est-ce pas forcément réducteur ? Que peut signifier la notion de jeunesse chez un musicien apte à aborder tous les répertoires au niveau international ?

    Il y a au moins une valeur que l'on peut attribuer à l'âge, c'est l'expérience. À 26 ans, on a encore beaucoup à découvrir, sur la vie, sur la musique. On peut appeler cela de la fraîcheur ou au contraire un manque de maturité. Cependant, on peut très bien avoir la maturité de jouer l'opus 111 de Beethoven à 25 ou à 30 ans, ou ne l'atteindre jamais, même à 70 ans.

    Âge et maturité ne sont pas forcément synonymes. Si c'était si simple, cela se saurait. De toutes façons, personne ne peut jamais avoir expérimenté tout ce qu'a vécu un compositeur et encore moins tous les compositeurs, et ce n'est pas le but d'un interprète. Notre rôle est d'essayer de comprendre des signes inscrits sur du papier pour leur donner du sens.

     

    Ce sens que vous allez donner ne passe-t-il pas autant par votre subjectivité que par une analyse objective ?

    Bien sûr. Pendant longtemps, j'ai pourtant cru pouvoir me satisfaire d'une objectivité totale, mais plus j'avance, plus je me rends compte qu'on doit assumer sa subjectivité, ce qui n'implique aucun irrespect du texte. La subjectivité permet à mille artistes de talent de donner mille approches différentes, toutes aussi intéressantes, et qui ne trahissent pas frontalement l'esprit de l'oeuvre. Certains s'éloignent beaucoup de ce qui est écrit. Mais les signes fixés sur la partition ne sont que des indications minimes. Si vous regardez les concertos de Mozart ou les oeuvres de Bach, tout reste à inventer, qu'il s'agisse de nuance ou de dynamique. Nul besoin de créer une nouvelle marge de liberté, elle est déjà très large.

     

    La partition est-elle alors comme le schéma d'une histoire qu'il vous faut raconter telle que vous la comprenez ?

    Sans doute, mais en même temps, je ne peux pas m'empêcher de penser que les oeuvres « m'appellent Â». C'est un rapport un peu mystérieux que j'entretiens avec celles qui m'intéressent vraiment et que je veux travailler. Quand je décide d'inscrire une oeuvre à mon répertoire et qui plus est quand je décide de l'enregistrer, cela part d'un sentiment de familiarité quasi immédiat avec elle. J'entends tout de suite ce qu'elle a à me dire. Mon travail consiste alors à le retranscrire, même si c'est un peu confus ou diffus au départ. Je dois le matérialiser. J'ai rarement des interrogations sur ce qu'il faut faire, sauf pour choisir entre plusieurs solutions. Je ne suis jamais sans idées sur une oeuvre, dès lors qu'elle m'a « appelé Â».

     

    Au stade où vous en êtes de la carrière, quelle est justement votre marge de liberté dans le choix des oeuvres à jouer en concert ou à enregistrer ?

    Je suis complètement libre. Je n'ai voulu être artiste de métier qu'à cette condition. J'en accepte les éventuelles retombées, mais je veux assumer pleinement ce que je propose à ceux qui m'écoutent. Pour ce premier disque chez Virgin, mon choix a été bien réfléchi, mais c'est le mien. Je voulais montrer que ma conception de l'instrument et du répertoire pour piano partaient de jalons qui n'étaient pas le « piano instrument roi du XIXe siècle Â». Mon histoire du piano est de montrer que c'est un instrument de tous les possibles, celui qui peut donner à Bach sa vocalité, à Boulez ses explosions de matière sonore. Sans cela, je n'aurais pas choisi de devenir pianiste.

     

    Le piano a-t-il été votre porte d'entrée dans le monde de la musique ?

    Comme mon frère et comme beaucoup d'enfants, j'ai commencé par le solfège et la flûte à bec, mais j'ai été mis au piano vers 4 ou 5 ans, comme dans la tradition de bien des familles. J'aimais alors plus la musique que l'instrument, mais celui-ci était d'approche facile. Je n'aurais sans doute pas eu la patience de me mettre au violon dont l'apprentissage est bien plus ingrat. Je suis allé au conservatoire de Tarbes, mais assumer ma vision personnelle du piano est venue assez tard, comme l'idée que je puisse en être capable.

    J'ai d'abord pensé que je pourrais en faire mon métier, puis, en un second temps, que si je le faisais, ce serait de cette façon-là, avant même d'avoir les moyens objectifs d'assumer pareille décision. Dès le départ, j'ai imposé mes choix. Les différentes phases que j'ai connues au cours de mon évolution artistique m'ont toutes conduit à la même conclusion : tu veux être pianiste, mais dans ces conditions-là.

     

    Quel rôle ont joué les rencontres avec les professeurs dans cette évolution ?

    Ma rencontre la plus importante a été celle de Jacques Rouvier, avant même mon entrée au Conservatoire National Supérieur de Paris. J'y suis rentré pour travailler avec lui. Jacques Rouvier est un grand interprète de la musique française, qui a notamment enregistré Debussy et Ravel. Je lui ai dit que la musique française ne m'intéressait pas, que je ne me sentais pas en phase avec elle. Mais Jacques Rouvier n'est pas un pianiste franco-français. C'est aussi un excellent connaisseur et professeur du répertoire germanique. Il m'a tout de suite appris une certaine rigueur.

    Après cinq années passées dans sa classe, j'avais la base nécessaire pour inventer mon propre phrasé, mon propre imaginaire, trouver ma propre personnalité. Il n'a jamais cherché à me formater, mais à me donner les bases qui me permettraient de trouver. J'ai eu beaucoup de chance. Sans renier ce qu'il m'avait appris, j'ai commencé à discerner ma voie et à la suivre.

     

    Avez-vous fait d'autres grandes rencontres ?

    Il y a eu bien sur Christian Ivaldi, Alain Meunier, qui a été l'un des premiers à accepter de jouer avec moi et à me faire confiance. Mais la plus grande rencontre, en dehors de celle de Rouvier, fut Christoph Eschenbach. Il m'a repéré lors de masterclasses au Conservatoire, et il s'en est suivi une relation faite d'amitié et d'une grande confiance musicale. Je peux toujours venir lui demander conseil. Il m'a aidé à assumer cette part de vocalité que je recherchais dans mes interprétations. Il a un rapport très fort à la voix, de par ses multiples expériences en ce domaine. Il est beaucoup plus qu'un pianiste et il m'a aidé à tenter de faire entendre ce legato de chanteur dont je rêve au piano.

     

    Avez-vous également une fascination pour le chant ?

    Je n'ai pas forcément envie, comme beaucoup de pianistes, d'accompagner des chanteurs. J'essaie vraiment de faire une voix de mon instrument. C'est une autre démarche. Je ne sais pas si j'y arrive, mais c'est ce que je veux. Rouvier me faisait écouter beaucoup d'opéras de Mozart. S'y est ajoutée une passion pour Wilhelm Kempff par exemple et pour la façon de chanter de Cecilia Bartoli.

    Elle a une façon très particulière de jouer avec le temps musical. Elle ne vocalise pas comme les autres chanteurs baroques. Elle cherche à mettre en valeur les notes pivots à l'intérieur d'une vocalise, comme je cherche à le faire dans une phrase de Bach, pour construire une ligne qui soit naturelle.

    C'est vraiment la recherche qui m'intéresse actuellement, même si, avant, j'ai joué les grandes pages virtuoses comme la sonate de Liszt ou les toccatas de Prokofiev. Je les rejouerai peut-être, mais j'ai vite compris que le défi majeur de ma vie d'artiste serait de trouver ce qui pouvait se passer entre les notes.

     

    Dans cette logique, comment allez-vous continuer à bâtir votre répertoire ?

    J'en parlais avec Brigitte Engerer, que j'aime beaucoup, et avec qui j'ai joué en février. Je lui disais : « vous êtes française, mais votre coeur est russe. Moi, mon coeur est allemand Â». Cela positionne beaucoup de choses. Ma mère est professeur d'allemand, mon père professeur de philo, avec tout le poids des philosophes allemands dans notre culture familiale, mon frère est juriste franco-allemand. À la maison, on écoutait beaucoup de compositeurs allemands. Mes premiers chocs musicaux ont été les Variations Goldberg, le Requiem de Mozart, les sonates de Beethoven, de Schubert.

    Même si je m'en suis éloigné quand j'étais plus jeune, ce qui est très sain car il faut essayer, il est arrivé un moment où j'ai été convaincu de pouvoir jouer Bach. Ma passion du chant m'y a ramené. À partir de là, de Bach à Schœnberg, la ligne est tracée, mais pas forcément avec les oeuvres les plus célèbres. D'ailleurs ce ne sont pas les pages les plus souvent jouées de Bach que j'ai choisies pour mon disque. Si je m'intéresse à Schumann, ce sera peut-être moins pour la Fantaisie que pour l'Humoresque ou les Chants de l'aube.

    Je suis plus concerné par des oeuvres peu jouées de grands compositeurs que par des compositeurs peu joués, à quelques exceptions près, comme Krenek. Il faut de toutes façons que les oeuvres m'appellent, qu'elles aient quelque chose à me dire.

     

    La vie errante de soliste ne vous fait pas peur ?

    Je n'ai pas l'intention de passer ma vie dans les hôtels. J'ai besoin de périodes de calme, de réflexion, de travail, chez moi, sans avoir une échéance tous les trois jours à préparer. Si on reste dans cette urgence, on ne fait travailler qu'une partie de notre cerveau, au détriment de celle qui nous fait évoluer sur le long terme. Moi, ce qui m'intéresse, c'est le long terme. Le court terme ne me motive pas beaucoup.

    Je veux que mon mode de vie soit adapté à la manière dont j'ai besoin de travailler, de réfléchir, d'évoluer, de travailler sur moi-même. Je ne veux pas sacrifier cette part de ma vie psychologique pour gagner plus d'argent ou être plus connu. Je veux prendre le temps de façonner l'artiste que j'ai envie d'être.

     

    Le concert, est-ce un fête, un passage obligé, un plaisir ?

    C'est une étape. Je ne joue jamais en entier chez moi une oeuvre que je vais interpréter en concert. Je la travaille par bribes. Le concert est le moment où je vais dérouler tout le paysage, d'où une excitation beaucoup plus grande, car je la découvre dans sa fraîcheur. Mais on ne peut faire cela qu'avec, au départ, une vision assez claire de l'ensemble de la structure. Le concert, c'est le moment où je me jette à l'eau, un moment de communication privilégié, non seulement avec le public, mais avec la musique.




    À voir :
    Concert Bach-Beethoven à la Légion d'honneur de Saint-Denis (93) avec le violoniste Valery Sokolov vendredi 29 juin à 20 h 30.

    À écouter :

    Bach : Partita n° 4, Suite française n° 1
    Boulez : Notations, Incices
    1 CD Virgin Classics 0094638578727


     

    Le 26/06/2007
    Gérard MANNONI


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