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ENTRETIENS 22 novembre 2024

La musique captive selon Pierre-Laurent Aimard

Pierre-Laurent Aimard aime à renouveler le déroulé habituel du récital. Pour la soirée Captivités du 15 décembre donnée au TCE, il mettra ainsi en résonance le Quatuor de la fin du temps de Messiaen avec des extraits d'Être sans destin d'Imre Kertesz, Prix Nobel de Littérature 2002. Une soirée que le pianiste français se refuse à qualifier de « spectacle ».
 

Le 12/12/2008
Propos recueillis par Laurent VILAREM
 



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  • Vous avez tiquĂ© Ă  l'Ă©noncĂ© du terme « spectacle Â» pour dĂ©finir la soirĂ©e Messiaen que vous proposez ce 15 dĂ©cembre au Théâtre des Champs-ÉlysĂ©es.

    Oui, car le but n'est pas d’élaborer une soirée-spectacle, mais de marquer une pause, de réfléchir au contenu, d'enrichir ce qu'on entend. J'ai déjà proposé ce programme lors de la Carte Blanche qui m'a été accordée par la Philharmonie de Berlin. La première a eu lieu le 9 novembre, soit le soir de la Nuit de Cristal mais également par un curieux hasard de l'Histoire, le jour de la Chute du Mur de Berlin. En tant que Français, ce sont des thèmes qu'on ne peut pas non plus oublier.

     

    Avec Valérie Aimard au violoncelle, Pascal Moraguès à la clarinette et Isabelle Faust au violon, vous allez donner le Quatuor pour la fin du temps ainsi que des pièces pour piano de Kurtag et Ligeti. Des extraits d'Être sans destin de l'écrivain hongrois Imre Kertesz, qui a connu Auschwitz à l'âge de quinze ans, seront également lus par le comédien Denis Podalydès.

    L'idée était de mettre en résonance dans une même soirée deux types de création par rapport à la captivité. D’un côté l'écriture pour évacuer, pour rendre supportable, pour résister aux problèmes des camps d'extermination, et de l'autre voir la réaction d'un compositeur à un internement comme simple soldat en 1940.

    Ce qui m'intéressait aussi était de remarquer que la réaction à l'insoutenable est souvent très différente de ce qu'on pouvait imaginer. Chez Kertesz par exemple, il n'y a aucun revanchisme, il y a davantage un souci du banal, une distanciation, quand Messiaen a répondu, lui, au froid, à la nuit, aux privations, par une œuvre de foi, de couleurs et de lumière.

     

    Vous avez connu Messiaen en devenant son élève au Conservatoire de Paris, mais comment avez-vous découvert l'œuvre de Kertesz ?

    Je l'ai rencontré à Berlin où il vit. C'est d'ailleurs le seul endroit où il se sent chez lui. Il est vraiment très apprécié en Allemagne. Messiaen et lui sont tous deux des personnes très douces, qui vous parlent de leur expérience avec un calme qui fait froid dans le dos.

    Je ne suis qu'un musicien, je ne me sens donc pas apte à parler littérature. Mais concernant sa production sur son internement, ce qui est frappant chez Kertesz, c'est son ton, sa distanciation, son observation du phénomène concentrationnaire qui est presque neutre. Son travail sur lui-même équivaut presque à une table rase philosophique.

     

    Vous aimez à réfléchir sur la forme traditionnelle du concert. Ce récital va ainsi bien plus loin que la simple exécution du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen.

    Le travail d'un interprète est de mettre en perspective le potentiel d'une œuvre. Je suis heureux que le Quatuor pour la fin du temps soit devenu une pièce à succès qui se joue partout dans le monde, mais il reste beaucoup de choses à y découvrir. Car il est véritablement un point de départ dans la production de Messiaen, notamment dans sa prise de conscience sur le temps. Et elle touche à la base même de sa technique.

    Il y a eu un choc esthétique créé par l'internement dans ce camp. Messiaen l'aurait sans doute ressenti de toute façon, il a parlé lui-même du conditionnement créé par le froid, la faim. Mais la captivité a probablement entraîné dans son processus créateur une suspension du temps radicale, dans le sixième mouvement notamment, la Danse de la fureur pour les sept trompettes qui travaille presque exclusivement sur les rythmes, ou dans les quatre couches hétérogènes du premier mouvement qui voit les quatre instruments jouer des parties indépendantes. Il s'agit de dépasser l'anecdote.

    Pour cette soirée Captivités, je cherche davantage à découvrir ce qui a permis la démarche intérieure d'une œuvre.




    À voir :
    Captivités, concert autour du Quatuor pour la fin du temps de Messiaen, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, le 15 décembre.

     

    Le 12/12/2008
    Laurent VILAREM


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