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ENTRETIENS 22 novembre 2024

La triple reconnaissance de Sophie Koch
© Patrice Nin

Après cinq saisons d’exil forcé à Toulouse et dans le reste du monde, Sophie Koch est de retour à Paris. Et pour de bon. Charlotte aux côtés du Werther de Jonas Kaufmann, la mezzo française chante sa première Fricka dans le prologue du Ring événement de l’Opéra de Paris. Avant de retrouver Philippe Jordan dans Chausson et Britten.
 

Le 01/03/2010
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • D’oĂą vient votre prĂ©dilection pour le rĂ©pertoire allemand ?

    J’ai étudié l’allemand en DEUG de lettres, communication et sciences du langage, et j’avais déjà en hypokhâgne un goût prononcé pour le romantisme allemand en littérature. D’autre part, j’ai beaucoup d’Alsaciens, de Lorrains dans ma famille, et même un arrière-grand-père allemand. Peut-être sont-ce les racines qui remontent à la surface.

     

    Est-ce vous qui êtes allée au répertoire allemand ou lui qui est venu à vous ?

    Puisqu’on ne peut se lancer directement dans le grand répertoire, j’ai commencé le chant par l’oratorio, c’est-à-dire Bach, donc en allemand, et beaucoup de Lieder, que je lisais toute seule avant même d’entrer au Conservatoire. C’est ainsi que j’ai découvert Schubert, Schumann, Wolf. L’allemand me vient facilement en bouche. Puis les auditions ont été déterminantes. Je présentais à l’époque des airs extraits de Così fan tutte, la Cenerentola et Ariane à Naxos. C’est ainsi que plusieurs théâtres m’ont engagée pour le Compositeur et Octavian. Ce sont d’ailleurs principalement les pays germaniques qui m’ont donné ma chance. Ma carrière est partie de là, de Londres aussi.

     

    Parallèlement à Strauss, vous avez beaucoup chanté Mozart et Rossini à vos débuts.

    Il faut gravir les échelons. Mozart est une excellente école pour la voix, le style. J’ai reçu pendant des années les conseils de Jane Berbié, qui était une fabuleuse mozartienne. Rossini évidemment coulait de source, mais je m’en suis tenue à deux rôles. Et j’ai toujours préféré Angelina à Rosine. Je n’ai pas aimé chanter le Barbier de Séville – j’avais trop le trac –, alors que j’ai pris beaucoup de plaisir dans quelques productions de la Cenerentola, notamment celle de Patrice Caurier et Moshe Leiser à Londres.

    Quant à Strauss, il est arrivé presque en même temps que Mozart. Deux nouvelles productions straussiennes à Dresde, sur la scène même où a été créé le Chevalier à la rose – dans lequel j’ai d’ailleurs débuté à la Staatsoper de Vienne avec deux jours de répétitions –, c’est un beau signe de reconnaissance.

     

    Strauss a-t-il été, par un paradoxe historique mais non sans évidence pour votre type de voix, un tremplin vers Wagner ?

    À force de chanter du répertoire allemand un peu large – car le Chevalier n’est pas écrit pour une voix légère, il y faut de l’endurance –, auquel se sont ajoutés quelques rôles français, Brangäne était presque devenue une évidence. J’ai eu la chance de l’aborder à Covent Garden dans le cadre d’un projet très porteur.

    Christof Loy, une équipe formidable, Antonio Pappano, que peut-on rêver de mieux pour une prise de rôle ? Nikolaus Lehnhoff, que j’ai rencontré, en même temps que Christian Thielemann, sur une remarquable production de Palestrina, voulait absolument que je chante Brangäne à Glyndebourne, face à la première Isolde de Nina Stemme en 2003, arguant que je n’aurais jamais d’aussi bonnes conditions pour teste le rôle. Mais j’ai bien fait d’attendre six ans pour m’y attaquer.

     

    Comparé à Brangäne, le rôle de Fricka est bref, particulièrement dans l’Or du Rhin.

    C’est une œuvre d’équipe, d’où n’émergent que Wotan, qui n’a cependant pas encore autant d’envergure que dans la Walkyrie, Alberich et Loge. Ce n’est pas un opéra de femmes, mais tous les personnages y sont dramatiquement au même niveau. De manière fascinante, Wagner installe ici tout un univers pour mieux le faire exploser ensuite.

     

    La deuxième scène commence ni plus ni moins par une scène de ménage.

    Dans la mise en scène de Günter Krämer, nous sommes chez les dieux. Wotan et Fricka ne sont pas seuls. Une scène de ménage, oui, mais dans un univers au-delà de l’humain, moins terre à terre, plus symbolique. Fricka n’est pas une ménagère, et je m’accroche à ses quelques lignes lyriques, très délicatement soutenues par l’orchestre, pour montrer un peu de douceur, de fragilité. Ces dieux n’en révèlent pas moins leurs aspirations cupides. L’orchestre de Wagner livre toutes les clés, jusqu’à la caractérisation des personnages.

     

    À cet égard, la mode est à un Wagner chambriste.

    Est-ce l’influence du mouvement baroque ? Dans Rheingold, le dialogue est souligné par des couleurs bien précises à l’orchestre. On sait à quel point Wagner tenait à ce que son texte soit audible, mieux, intelligible. Sans doute est-ce l’œuvre qui se prête le plus à ce type d’approche. Mais dès Walküre, le son change.

     

    Cette mode n’est-elle pas aussi liée à une certaine forme de carence en voix wagnériennes, qui restreint considérablement le choix pour certains rôles ?

    Pensez-vous vraiment qu’il y ait carence ? De nouvelles exigences sont apparues, notamment en termes de crédibilité physique des personnages, et celles-ci se ressentent sur les voix. Je ne suis pas certaine que les chanteurs de ce fameux âge d’or aient eu les qualités musicales et théâtrales requises aujourd’hui. Le développement de l’image fait qu’on ne tolère plus de voir les mêmes choses qu’il y a cinquante ans.

    Si l’on pense que tous ceux qui nous ont précédés étaient inégalables, on ne chante plus rien. Je ne prétends pas faire mieux que Christa Ludwig, Tatiana Troyanos, qui restent mes idoles, j’essaie de reprendre le flambeau, de m’inscrire dans une lignée, d’être à ma place. Car l’opéra est un art vivant. Prenez Nina Stemme. Bien sûr, il y a eu Martha Mödl, Birgit Nilsson et quelques autres. Mais a-t-on souvent entendu une Isolde aussi musicale, maîtrisée, souple, capable d’arriver à la mort comme elle le fait ? Et sa voix passe remarquablement l’orchestre, qui n’a rien d’une formation de chambre.

     

    Vous semblez très respectueuse des traditions, notamment par le refus des familiarités dans le milieu lyrique.

    Au fil du temps, des amitiés se nouent, mais je ne serai jamais familière. Il est de toute manière difficile d’établir une relation plus intime avec des chefs croisés tous les quatre ou cinq ans, comme Christian Thielemann, que j’ai rencontré à Londres en 2001, mais que je n’ai retrouvé à Berlin qu’en 2005, puis l’année dernière à Baden-Baden. D’autant qu’il ne faut pas sous-estimer le rapport d’autorité. J’ai beaucoup d’affection pour Nicolas Joel, mais il reste mon patron. S’il lui est arrivé de me tutoyer, jamais je ne le pourrai. Il faut craindre, un peu, pour s’améliorer. Les nouvelles vont tellement vite dans ce métier. Si vous êtes dans un mauvais un soir à Londres, tout le monde le sait dès le lendemain.

     

    L’arrivĂ©e de Nicolas Joel Ă  Paris marque « le dĂ©but des annĂ©es Koch Â». C’est du moins ce qu’annonce Christophe Ghristi dans En scène !, le journal de l’OpĂ©ra.

    Pendant cinq ans, je n’ai pas chanté à Paris, mais à Toulouse. Si Nicolas Joel ne m’avait pas invitée, je ne me serais pas produite en France. C’est une forme de reconnaissance. Il m’a proposé des rôles que je n’avais jamais chantés. Double reconnaissance. Il me fait maintenant venir à Paris, m’offre Charlotte, mon premier Ring. Durant les prochaines saisons, je reviendrai pour Tannhäuser, et je devrais reprendre Fricka, non seulement dans l’Or du Rhin, mais aussi dans la Walkyrie, pour laquelle je n’étais pas libre cette année. Être ainsi soutenue par un directeur peut déplaire à certains. Je ne l’étais pas sous Mortier.

     

    Le répertoire français apparaît dans votre carrière davantage comme une conquête que comme une évidence.

    Je chante Charlotte depuis maintenant cinq ans. Quels sont les rôles accessibles à un mezzo comme le mien ? J’ai abordé le Roi d’Ys, Mignon, et avec des retours positifs. Lorsque j’ai percé avec les travestis, on ne m’a plus proposé que cela. J’ai passé trois ans presque uniquement dans la peau du Compositeur. Je chante Octavian depuis onze ans. Passer à des rôles de femmes est pour ainsi dire une question d’âge, de maturité non seulement vocale, mais aussi physique. Je n’abandonnerai pas pour autant les travestis, car jouer quelqu’un que l’on n’est pas du tout est très amusant.

     

    Aborder Adalgisa vous a-t-il ouvert de nouvelles perspectives dans l’opéra italien ?

    J’ai pris beaucoup de plaisir à chanter Adalgisa au Festival de Munich face à Edita Gruberova, qui est encore capable de choses absolument inouïes. Nous allons d’ailleurs reprendre Norma ensemble en concert. Mais je ne compte pas me spécialiser dans le bel canto. Je serai éventuellement une Eboli, mais pas dans un trop grand théâtre. Je n’ai pas les caractéristiques particulières au mezzo verdien. Je me coule mieux dans le modèle allemand.

     

    Votre carrière lyrique vous permet-elle encore de cultiver la mélodie, le Lied ?

    J’y tiens. Mais il faut trouver le temps de travailler, tout en gardant à l’esprit qu’il est impossible de rattraper les heures dont on ne dispose pas. Passer d’un rôle, d’une langue, d’un style à l’autre est déjà suffisamment difficile. L’opéra, le plus longtemps possible, parce que c’est l’art suprême.

     

    Michel Glotz, qui a pour ainsi dire lancé votre carrière, vient de s’éteindre.

    Je suis entrée chez Musicaglotz en 1994, suite à ma victoire au concours de 's-Hertogenbosch, et sur les conseils de Jane Berbié. J’étais d’autant plus intimidée par l’homme que sa carrière en imposait. C’était un vrai seigneur de la musique, dont l’immense culture ne se bornait pas seulement à l’opéra, mais révélait une vraie science de la musique orchestrale et du piano. Ses avis étaient très tranchés, mais toujours argumentés.

    Les auditions que Michel m’a permis d’obtenir dans de grands théâtres comme le Royal Opera House de Londres, la Staatsoper de Vienne et la Semperoper de Dresde ont été, par leur réussite, un tremplin extraordinaire. Je n’oublierai jamais son émotion à l’issue d’un récital que j’ai donné au festival de Salzbourg en 2005. Je crois sincèrement qu’il n’a vécu que pour la musique.




    À voir :
    Das Rheingold de Richard Wagner, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Günter Krämer, Opéra Bastille les 4, 10, 13, 16, 19, 22, 25 et 28 mars

    Concert symphonique de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, Mendelssohn, Chausson, Britten, Debussy, direction : Philippe Jordan, Palais Garnier, le 26 mars

     

    Le 01/03/2010
    Mehdi MAHDAVI


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