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ENTRETIENS |
24 décembre 2024 |
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Quels atomes crochus avec l’Orchestre philharmonique de Bruxelles ?
J’ai donné un concert avec cet orchestre de radio flamande voilà quatre ans. Il a été lâché par sa radio avant d’être repris par l’autorité flamande. Une fois sa transformation réalisée, on m’a demandé d’en devenir le directeur artistique. Ce que j’ai accepté. C’est un orchestre de quatre-vingts musiciens, très flexible et éclectique. Il peut jouer les romantiques, Brahms et Wagner, et la musique d’aujourd’hui comme celle de Xenakis. C’est cela qui a fait tilt pour moi. |
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Pourquoi cette si grande fidélité à Xenakis ?
Sa musique continue d’être nouvelle. Aucune n’a autant d’ampleur que la sienne. Il a creusé un sillon. C’est un innovateur à la fois tellurique et proche du cœur, un grand romantique unique par sa langue inimitable avec des glissandi et des sons très étranges qui proviennent des vibrations du corps.
Il a vécu dans les grandes pinèdes de l’Attique et il est imbibé de Platon. Il est très joué parce que sa musique assez facile à exécuter n’a pas besoin comme d’autres de quarante répétitions. Le public de Xenakis est complexe : celui qui vient par fidélité et celui qui ne le connaît pas mais qui repart touché. |
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Vous êtes associé à la Cité de la musique.
Nous donnons cette saison trois concerts sur le thème de l’utopie. Le premier est autour de Wagner (extraits de Parsifal, Lohengrin, Crépuscule des dieux) et de Scriabine avec le Poème de l’extase. Entre ces deux compositeurs existent de nombreuses correspondances ainsi qu’un parallèle philosophique et spirituel. Dans le deuxième programme, j’associerai Liszt et Nono. |
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Des associations ou des oppositions ?
Je me fais le champion de ces oppositions qui en fait n’en sont pas. Ce que je veux dire au public quand je dirige Xenakis, c’est qu’il est un successeur de Beethoven. Ce sont deux êtres qui ont vécu et ressenti les mêmes émotions mais qui les ont exprimé dans des langues dont l’une nous est plus familière que l’autre. Il n’y a pas un humain et un extra-terrestre mais deux humains dans une continuité organique.
Le XXe siècle musical n’a pas été commode ni dans la peinture ni dans la musique en raison des bouleversements politiques et esthétiques. Cela a provoqué des cassures momentanées qui aujourd’hui s’estompent. À la Renaissance aussi se sont produites des cassures que l’on ne voit plus aujourd’hui. Les artistes ne naissent pas de rien mais d’un passé qu’ils ont assimilé, digéré et recréé à leur manière. Ce XXe siècle, il faut le vivre différemment. |
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Vous avez été très boulézien, l’êtes vous toujours ?
Oui. Entre lui et moi, il y a une communion de pensée. Pierre est un homme de grande rigueur. Il est comme le dit sa sœur, Jeanne Chevalier, un « chevalier blanc au service de la musique ». Mais quand je dirige, je suis différent de lui, j’essaie de transcender les notes bien préparées en répétition. Alors, vogue la galère, j’essaie d’être dans l’inspiration du compositeur. |
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N’y a-t-il pas parfois trop de répétitions ?
Pour une symphonie, parfois trois jours de répétition : ce n’est pas inutile. Mon père était musicien à l’Orchestre de la Suisse romande. Il racontait que des chefs comme Bruno Walter ou Furtwängler disaient à leurs musiciens : « Messieurs, vous connaissez comme moi la symphonie. Rendez-vous au concert ! ». Depuis, le disque est passé par là . Il faut aujourd’hui au concert une forme de perfection. Le public ne supporterait plus des fausses notes à tour de bras. |
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On dit souvent aujourd’hui qu’il y a une uniformisation sonore internationale des orchestres.
J’essaie de travailler pour que mon orchestre soit aussi bon que Vienne ou Berlin quand ces formations jouent Brahms ou Beethoven. Un son romantique allemand très typé implique une technique d’archet de cordes que je travaille beaucoup ; il y a un son russe, un son slave plus brillant, un son français très clair dans les bois, très scintillant dans les cuivres. |
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Quels sont vos choix dans la musique contemporaine ?
Compte tenu de mon âge, je me fais le disciple des compositeurs que j’ai connus, tels Stockhausen, Berio, Ligeti, Messiaen, Maderna et Xenakis bien sûr. Il faut faire vivre leurs œuvres à la manière qu’ils souhaitaient. Mon premier maître était le chef Igor Markevitch qui avait bien connu Richard Strauss. J’ai connu Strauss à travers Markevitch. Il était un passeur entre les générations. Je souhaite l’être. |
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Vous vous intéressez aussi aux arts plastiques, comme Pierre Boulez qui a écrit un livre sur Paul Klee. Pourquoi tant de musiciens y sont-il aussi rétifs ?
Les instrumentistes, outre les concerts et les répétitions, travaillent au moins quatre heures par jour. Comment voulez-vous qu’ils aient le temps de lire Sartre, Schopenhauer et qu’ils aillent voir des expos ! Ma femme est peintre, je ne manquerais pas une exposition. Mais c’est très personnel. Je vais à Venise deux fois par an diriger à la Fenice et je visite les musées. Je suis passionné par les arts plastiques, mais je ne lis pas tout ce qui paraît. |
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À travers la période douloureuse que vos avez vécue, pour être clair celle de l’affaire du Temple solaire dans laquelle vous avez été complètement blanchi, vous avez compté Pierre Boulez parmi vos soutiens.
J’ai vécu une injustice très infondée dont j’ai souffert pendant dix ans. Cela a été très long. J’ai affronté tout cela. J’ai eu des aides exceptionnelles, celles de Xenakis, de Pierre Boulez, de Laurent Bayle, directeur de la Cité de la musique. Aujourd’hui, je n’ai aucun regret, aucun remords, aucune animosité contre qui que ce soit. J’ai grandi dans cette épreuve.
Ă€ voir :
Cité de la musique, samedi 25 septembre, Brussels Philharmonic sous la direction de Michel Tabachnik.
Festival Musica Ă Strasbourg, les 1er et 2 octobre. Ĺ’uvres de Xenakis.
Ă€ lire :
De la musique avant toute chose, ouvrage de Michel Tabachnik, Ă©ditions Buchet Chastel. |
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