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ENTRETIENS 22 novembre 2024

Sabine Devieilhe,
ou Rameau amoureux

En octobre 2011, Jean-Claude Malgoire, qui n’a pas son pareil pour dénicher des voix, confiait à une jeune soprano à peine éclose le rôle-titre de la Somnambule. Deux ans plus tard, Sabine Devieilhe s’apprête à faire ses débuts à la salle Favart puis à l’Opéra de Paris, en Lakmé et en Reine de la Nuit. Pour son premier récital chez Erato, elle déclare son amour à Rameau.
 

Le 04/11/2013
Propos recueillis par Mehdi MAHDAVI
 



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  • C’est le nom d’une inconnue qui est apparu sur la brochure de la saison 2011-2012 de l’Atelier Lyrique de Tourcoing. Que faisiez-vous avant que Jean-Claude Malgoire ne vous engage pour chanter le rĂ´le-titre de la Somnambule de Bellini ?

    Il s’agit d’un bel exemple de la manière dont a débuté ma carrière. Car c’est non seulement grâce à ma formation, mon travail évidemment, mais surtout à la confiance de mes aînés que j’en suis là aujourd’hui. J’ai commencé la musique par le violoncelle, qui m’a rapidement passionnée, particulièrement le répertoire pour quatuor à cordes. J’ai également beaucoup aimé le métier d’orchestre, et ma place dans l’harmonie – être la fondamentale de l’accord, voilà ce qui m’a plu !

    Par le biais du violoncelle et de la pratique collective, je suis venue à la chorale d’abord, puis au chœur un peu plus spécialisé. Des chefs de chœur comme Valérie Fayet au conservatoire de Caen se sont mis à me proposer des petits solos dans les programmes de fin d’année. Je me sentais un peu grisée, mais en n’y croyant qu’à moitié. Petit à petit, j’ai eu envie de réaliser techniquement avec ma voix ce que mon oreille et ma connaissance de la musique me laissaient entrevoir. Je me suis donc décidée à prendre des cours de chant vers l’âge de dix-huit ans.

    En arrivant au Conservatoire de Rennes pour étudier la musicologie, j’ai appris que le chœur de l’Opéra recrutait des intermittents. De ce fait, beaucoup de jeunes chanteurs en devenir venaient cachetonner pour trois ou quatre productions. C’est ainsi que j’ai découvert la scène, les costumes, les décors, l’incarnation d’un personnage – car même au sein d’un groupe, et pour peu que l’on soit bien dirigé, on est quelqu’un !

    Cette expérience m’a incitée à tenter le CNSM en chant. J’en suis sortie quatre ans plus tard en ayant déjà un petit pied dans le métier, grâce à des personnes comme Jean-Claude Malgoire qui m’ont fait confiance – au point de me confier un rôle formidable comme celui de la Somnambule, qui plus est dans un répertoire où ce baroqueux de la première heure n’était pas forcément attendu. Mais il a su prendre ce risque pour moi.

     

    Pour autant, accepter le rôle-titre de la Somnambule alors que vous étiez encore au Conservatoire n’allait pas de soi !

    Jean-Claude m’avait également proposé beaucoup de musique ancienne. J’ai fait Didon et Énée avec lui, la Folie dans Platée, ainsi que la Passion selon saint Jean de Bach. Il a cette fantaisie, cette oreille aussi, qui lui a fait rencontrer beaucoup de chanteurs à l’aube de leur carrière. C’était une façon de lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais jamais je n’aurais abordé Amina sur scène à ce stade de ma carrière.

    À Tourcoing et pour deux versions de concert, j’étais comme dans un cocon. Et puisque j’étais encore au Conservatoire, j’ai pu peaufiner le rôle avec mes professeurs et des chefs de chant, en prenant garde de ne pas me brûler les ailes. Sans doute ne le chanterais-je pas aujourd’hui de la même façon, mais je suis fière de m’être donné les moyens de le faire.

     

    Étape suivante, Serpetta dans la Finta giardiniera de Mozart, là encore dans le cadre protégé de l’Académie européenne de musique du festival d’Aix-en-Provence.

    C’est une expérience que je souhaite à tout jeune chanteur : un cadre magnifique et des conditions de travail très confortables, doublés d’un carrefour de grands artistes. Le contexte même de l’académie offre un temps de répétitions très long, avec des personnes qui savent exactement à qui elles s’adressent. Pour un premier Mozart à la scène, Serpetta, cette petite soubrette espiègle, m’offrait la possibilité de m’échapper un peu de la portée dans les da capo, tout en restant dans une tessiture raisonnable. Une manière idéale de débuter dans le métier !

     

    Alors même que Lakmé à l’Opéra Comique et la Flûte enchantée à la Bastille figuraient déjà dans votre agenda. Vous donnez l’impression de monter les marches quatre à quatre…

    Très vite au cours de mon apprentissage, j’ai eu envie de connaître mon instrument dans sa totalité. Je ne suis pas en train de pousser les murs en allant vers Lakmé et la Reine de la Nuit, qui présentent certes un ambitus assez long d’un extrême à l’autre, mais de suivre logiquement les possibilités de ma voix de soprano léger.

    Peu de chanteuses de ma tessiture s’en tiennent à des rôles de soubrettes : ce registre permet heureusement d’aller du théâtre le plus pétulant au lyrisme d’une Lakmé, en passant par la colère de la Reine de la Nuit. Le disque Rameau qui vient de paraître en est aussi le témoin. Le compositeur a su offrir à ses interprètes, et surtout à la vocalité assez légère de Marie Fel, dont il était tombé amoureux, du moins musicalement, une palette de couleurs incroyable.

     

    Un premier disque solo après seulement deux ans de carrière est un formidable cadeau. Avez-vous hésité sur le choix du programme, ou Rameau s’est-il imposé d’emblée comme une évidence ?

    C’est un retour aux sources, puisque je me suis intéressée au répertoire baroque dès la fin de ma formation de violoncelliste. J’ai mis des cordes en boyau sur mon instrument, et commencé à faire du continuo. J’ai donc rencontré Jean-Philippe Rameau par la fondamentale de l’accord, et en suis tombée amoureuse. À mon entrée dans la classe de chant du CNSM, l’option musique ancienne s’est imposée à moi. C’est là que j’ai fait la connaissance de Kenneth Weiss, claveciniste de renom et continuiste hors pair, qui a immédiatement senti que Rameau pouvait me correspondre.

    À la fin du premier trimestre de ma première année, j’ai interprété un air d’Hippolyte et Aricie, le fameux Rossignols amoureux, qui est en principe un dialogue avec la flûte, accompagné du seul clavecin. Il s’agissait d’une petite audition sans prétention, mais il n’empêche qu’un flûtiste était dans la salle, qui n’était autre qu’Alexis Kossenko. Il m’a proposé d’approfondir ce style – afin de mieux comprendre où placer l’affect, quelle était la part de liberté de l’interprète –, et notre travail a débouché sur une série de récitals.

    Le grand talent d’Alexis a été de me présenter des programmes, non pas d’airs de soprano – car je n’étais pas du tout soliste dans l’âme à cette époque –, mais conçus suivant une cohérence dramatique. Nous en avons monté un par an, et lorsqu’on m’a offert d’enregistrer ce disque, l’argument du deux cent cinquantième anniversaire de la mort de Rameau en 2014 a appuyé mon envie – même si l’idée de graver des airs de colorature français du XIXe siècle était très tentante.

     

    Comment faire en sorte que les attentes du public vis-à-vis de Lakmé ne se focalisent pas sur les suraigus de l’air des clochettes ?

    Lorsque je suis passée à la table avec la partition pour préparer la production de l’Opéra de Montpellier, je me suis rendu compte que l’air des clochettes ne représentait qu’un dixième du rôle. En effet, Lakmé est tout le temps sur scène et passe par des émotions extrêmes. Pour la sortir de son carcan de clochette colorature, il suffit de croire en chacun des états qu’elle traverse, de son éveil à l’amour à la colère qu’elle ressent dans son affrontement avec son père, puis à sa désillusion. Lakmé est une Juliette qui s’empoisonne, et en se glissant entre les mailles de l’orientalisme un peu daté de Delibes, qui est par ailleurs un magnifique orchestrateur, ce personnage peut mener très loin.

     

    Jusqu’où êtes vous allée à Montpellier, et qu’attendez-vous de la production de l’Opéra Comique ?

    À Montpellier, j’ai aimé rendre Lakmé un peu plus impalpable et lui enlever son côté divinité en herbe adulée par le village, la redescendre sur terre et en faire à la fois une femme et un être qui se cherche, en la tirant davantage vers Mélisande. Je ne sais ce que je peux attendre d’un metteur en scène avant de l’avoir rencontré, mais en ayant assumé la préparation du rôle à 100%, je me sens prête à le suivre là où il me proposera d’aller.

     

    En mars 2014, vous ferez vos débuts à l’Opéra Bastille dans la Flûte enchantée. Un nouveau grand pas hors de ces cocons que sont l’Atelier Lyrique de Tourcoing, l’Académie européenne de musique, voire même la salle Favart !

    À la Bastille ou ailleurs, le public attend énormément de cette figure emblématique de l’art lyrique qu’est la Reine de la Nuit. La force de l’interprète est de pouvoir remonter ses manches et creuser un personnage et un modèle vocal pour se les approprier. Le fait d’avoir chanté le rôle douze fois en quatorze jours à l’Opéra de Lyon, en repartant toujours du texte et de la colère que j’avais envers Sarastro pour mettre mon trac de côté, me rassure énormément. Pour Paris, je n’ai pas simplement passé une audition, mais amorcé un vrai travail avec Philippe Jordan, qui a débouché sur la proposition de l’Opéra. Il est rare qu’un chef de cette envergure prenne ce temps avec un chanteur, et nous nous sommes très bien entendus.

     

    Après avoir cherché à désacraliser Lakmé, avez-vous la volonté de rendre la Reine de la Nuit plus humaine que l’image de furie véhiculée par certaines références discographiques ou le film Amadeus de Milos Forman ?

    La belle-mère ! C’est un exercice de style d’hystérie féminine, de la psychanalyse en devenir. Je ne pense pas que cette lecture puisse nourrir mon incarnation. Ce que je perçois de la magnifique Diana Damrau qui l’interprète avec brio, d’Edda Moser que j’admire beaucoup, de Lucia Popp dans ses nuances, c’est cette énergie condensée qui vrombit et touche immanquablement le public.

    Le but de l’interprète est d’être intègre avec son instrument afin d’aller aussi loin que possible tout en restant maître de ses moyens. J’ai aperçu quelques images de la production de Robert Carsen créée à Baden-Baden, que nous allons reprendre à la Bastille. La Reine de la Nuit n’y est absolument pas représentée comme une divinité maléfique, mais comme une femme qui joue de ses pouvoirs de séductrice et de mère possessive. Tout cela me servira à ancrer ce chant en moi, et donc à rester moi-même.

     

    Lakmé, la Reine de la Nuit, la comparaison avec Natalie Dessay est inévitable, même sans que vous cherchiez à la provoquer.

    Et elle est très flatteuse. Natalie Dessay est une artiste hors pair, qui a sorti de leur carcan un grand nombre de rôles de sopranos cui-cui et fait énormément pour l’art lyrique, le chant et le théâtre sur une scène d’opéra. Mais je ne pourrai jamais estimer être à la hauteur de cette dame ! D’autant que le propre de ce début de carrière qui va à toute allure est d’être sûre que je me connaisse bien. Jour après jour, je continue à me construire, sans trop regarder mon agenda pour les années qui viennent. Certains projettent beaucoup sur les jeunes artistes, tant pis ou tant mieux, cela me dépasse et je n’ai aucune envie de m’en préoccuper. Pour l’instant, je préfère travailler pour honorer les propositions qui m’ont été faites.

     

    À présent que vous semblez définitivement être passée de la fondamentale de l’accord à la ligne du dessus, la pratique collective qui vous a menée au chant ne vous manque-t-elle pas ?

    Cela n’a jamais été une façon de sortir du rang. Et j’aime toujours chanter en chœur, faire partie d’un accord. Être le maillon d’une chaîne non seulement me plaît, mais me définit. Je sors d’une production de Dialogues des Carmélites de Poulenc où j’étais une carmélite parmi dix-sept : il se trouve que j’avais une partie de soliste, mais mes copines du chœur étaient aussi importantes que moi dans la construction du carmel. C’est ce travail d’équipe qui me permet d’élaborer un personnage. Avec Lakmé, qui est dépeinte dans sa solitude, il s’agit surtout d’une attitude hors scène, le soir après les répétitions. Nous faisons un métier de camaraderie, et je suis plutôt du genre à boire des bières avec le ténor et le reste de la troupe ! La soprano seule dans sa chambre d’hôtel, ce n’est pas moi du tout !




    À écouter :

    Rameau, le Grand Théâtre de l’Amour, avec les Ambassadeurs, direction : Alexis Kossenko, CD Erato.

    À voir :
    Programme du disque, avec les Ambassadeurs, direction : Alexis Kossenko, Opéra Royal de Versailles, le 5 novembre.
    La finta giardiniera de Wolfgang Amadeus Mozart, direction : Andreas Spering, mise en scène : Vincent Boussard, les 22 et 24 novembre, Opéra de Toulon.
    Lakmé de Delibes, direction : François-Xavier Roth, mise en scène : Lilo Baur, Opéra Comique, du 10 au 20 janvier 2014.
    La Flûte enchantée de Mozart, direction : Philippe Jordan, mise en scène : Robert Carsen, Opéra Bastille, du 11 mars au 15 avril 2014.

     

    Le 04/11/2013
    Mehdi MAHDAVI


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