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ENTRETIENS |
23 décembre 2024 |
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Votre premier récital paraît en septembre chez Forlane. Vous y chantez Rossini en duo avec un contralto masculin. C'est un choix plutôt insolite ?
C'est un homme qui chante des rôles d'homme. J'ai trouvé plus intéressant d'avoir Marco Lazzara comme partenaire plutôt qu'une mezzo soprano, sa voix possède des couleurs très particulières qui s'accordent bien avec les miennes. Nous allons également, au cours de la saison prochaine, donner plusieurs fois ce programme en concert. |
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Vous avez souvent dit que, dans ce métier, vous étiez quelqu'un d'atypique. Qu'entendez-vous par là ?
Je suis venue au chant plus tard. On me disait que j'avais un don, mais je ne l'exploitais pas ; la musique me passionnait, j'écoutais la radio ou des enregistrements sans arrêt, j'avais commencé à acheter des partitions sans savoir lire les notes. J'avais un autre métier puisque j'étais institutrice, mais je n'aime pas la routine, et au bout de dix ans, j'avais peur de me scléroser. En même temps, je terminais des études d'histoire et d'anglais à l'Université. J'ai voulu rencontrer Denise Dupleix, qui donnait des masterclasses, elle m'a dirigée vers Isabel Garcisanz, qui est devenue mon professeur. Je n'ai jamais suivi aucune filière traditionnelle, par même le parcours officiel qui passe par le Conservatoire
C'est en ce sens qu'on peut considérer que je suis vraiment atypique. |
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Et ensuite ?
Deux ans plus tard, j'ai rencontré Gabriel Dussurget, qui m'a mis aussitôt en contact avec le chef d'orchestre Bernard Thomas. Trois semaines après, je chantais dans la Messe en ut mineur de Mozart. Pour débuter de cette façon, il fallait être inconsciente ! Le Festival de Castres cherchait une Konstanze pour L'Enlèvement au sérail ; j'ai dit non mais j'ai accepté Blondchen. Tout est parti de là . Ensuite, je suis entrée au Conservatoire Poulenc où j'ai obtenu mon premier prix de chant en deux ans.
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Et votre Philine dans Mignon, à Compiègne ?
C'était l'année suivante, en 1992. Mon premier rôle de colorature : un travail important a été fait, surtout en ce qui concerne la diction française, la manière de rouler les " r " ou non et de faire sonner les consonnes. Ce sont des choses qui vous marquent et qui restent. Je viens de chanter L'Amour masqué de Messager, et les réflexes sont revenus automatiquement.
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Vous étiez plus particulièrement tentée par un répertoire ?
J'étais très attirée par le XIXe siècle français, par des rôles comme Ophélie dans Hamlet, ou la Comtesse du Comte Ory, mais en même temps je suis très éclectique, j'aime varier les styles et les époques. Notre métier est difficile ; raison de plus pour ne pas s'y ennuyer. |
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Est-ce cette volonté d'éclectisme qui vous a conduite vers le baroque ?
Oui. Vous savez, je suis presque une autodidacte et j'avais soif de m'ouvrir à des répertoires différents. Après l'opéra-comique, après Mozart, le baroque c'était comme un retour aux sources de l'opéra. J'ai senti la continuité avec ce que j'avais fait précédemment, j'ai retrouvé dans Rameau tout ce que j'avais appris à propos de la déclamation française, et j'ai eu la sensation de gagner un équilibre supplémentaire.
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Quels chefs vous ont guidée sur cette voie ?
Le premier, ce fut Jean-Claude Malgoire. Ensuite est venu Marc Minkowski, auquel m'a unie une grande complicité musicale. Et puis William Christie, avec lequel j'ai également vécu des moments merveilleux. Avec Marc, j'ai fait la Folie dans Platée, avec Bill, Aricie dans Hippolyte et Aricie, inutile de vous dire que ce sont deux spectacles que je ne suis pas près d'oublier. Marc, c'est la fougue, la vitesse, l'impact immédiat. Bill Christie est en apparence plus calme, mais il conserve un contrôle permanent sur tout. Il semble laisser l'artiste plus libre, au départ, mais c'est pour mieux le guider à l'approche du spectacle. Je garde un souvenir ému de La Rencontre imprévue de Gluck, que j'ai chantée sous sa direction à Montpellier ; et nous allons nous retrouver à Garnier, à la rentrée, pour la reprise des Indes galantes. |
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Vous avez ensuite pris un autre tournant avec le bel canto.
Oui. J'ai commencé par Lucia di Lammermoor de Donizetti, et puis je suis passée à Bellini avec Elvira des Puritains, Giulietta des Capuleti ed i Montecchi et Amina de La Somnambule. À New York, on m'avait demandé de faire, en quelques semaines, les deux versions de Lucia, la version traditionnelle, et l'originale, plus haute d'un ton ; je me suis contentée de la traditionnelle. J'aime l'impact de ce personnage au travers d'effets qui ne doivent pas en être. C'est une héroïne déchirée, qui porte sa jeunesse comme un boulet dans un monde fermé dont la seule issue est la mort. Les coloratures mènent la tension dramatique à son plus haut degré. La version française, plus tardive, est très aiguë, et, à mon avis, moins intéressante.
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Vous n'aimez pas que l'on vous qualifie de " soprano aiguë " !
Je n'ai jamais rien prétendu de tel, mais je pense qu'il est plus juste de dire que je suis une soprano lyrique qui a un aigu facile et qui peut vocaliser, et pas une soprano légère, ce qui est trop peu précis.
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Avec Elvira des Puritains, vous avez affronté une autre sorte de folie.
Je suis très attachée à Elvira parce que c'est le premier personnage bellinien que j'ai interprété et je ne pressentais pas tout ce que cette musique allait éveiller en moi. Jamais je ne me lasserai de ces mélodies qui sont à la fois belles et simples. La folie d'Elvira est momentanée de par sa fragilité, et son agressivité est tournée vers elle-même et pas vers les autres. C'est assez fascinant de donner deux visages différents du dérèglement mental, avec Lucia et Elvira, et de se demander quels liens on va établir avec le public. L'égarement d'Amina, dans La Somnambule, est encore d'une autre nature. À Madrid, Richard Bonynge m'a merveilleusement guidée pour ce rôle. C'est un homme très cultivé, très courtois, qui connaît ce répertoire sur le bout des doigts. Je suis arrivée avec mes propres cadences, il m'a fait d'autres propositions, et on ne peut rien lui refuser, alors j'ai essayé ce qu'il me demandait et j'ai constaté que c'était intéressant. Joan Sutherland, son épouse, qui fut l'immense chanteuse que l'on sait, était d'ailleurs présente. |
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À Saint-Étienne, en 1995, vous êtes apparue sous un jour très différent dans Candide de Leonard Bernstein.
C'est toujours mon envie de changer de style, de faire autre chose. La comédie musicale, j'en rêvais. Candide est un ouvrage magique ; j'aurais aimé le chanter un jour sous la direction de Bernstein !
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C'est ce même goût de la diversité qui vous a poussé à succéder à Yvonne Printemps dans Elle de L'Amour masqué, que vous venez de chanter en concert avec l'Ensemble Orchestral de Paris ?
Bien sûr ! Quelle drôlerie dans le texte de Guitry, c'est le goût du bon mot que Jean-Laurent Cochet nous a fait travailler à fond, et quelle musique élégante et ravissante ! À la fin, le public était en délire. Les gens sont encore très attachés à l'opérette et à l'opéra-comique, regardez le succès obtenu par l'enregistrement de La Dame blanche chez EMI.
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C'est un répertoire que vous aimeriez chanter davantage ?
Oui, mais pas n'importe quoi et je ne veux pas qu'on me mette une étiquette. C'est une chose qui arrive très vite, en France.
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Donc, pour vos prochaines prises de rôle, vous revenez à l'opéra ?
Ce seront Gilda de Rigoletto à Saint-Étienne, mon premier Verdi, et Amenaide du Tancredi de Rossini à Marseille, mais je n'oublie pas mon cher XIXe français puisque je reprendrai Ophélie et Philine, ainsi que la Comtesse Adèle du Comte Ory.
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SĂ©lection discographique :
Boieldieu : La Dame blanche, direction Minkowski (EMI)
Haendel : La Resurrezione, direction Minkowski (Archiv Produktion)
Rameau : Anacréon, direction Minkowski (Archiv Produktion)
Rameau : Hippolyte et Aricie, direction Minkowski (Archiv Produktion)
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