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ENTRETIENS |
21 décembre 2024 |
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Que pensez-vous de ce qu’en ont fait les librettistes d’Hamlet d’Ambroise Thomas à la pièce de Shakespeare ?
Pour moi, Shakespeare est Dieu ! Donc la vision des librettistes d’Hamlet m’amuse. C’est une vision du XIXe français, pas très sérieuse, mais avec de formidables moments. J’aime beaucoup Hamlet de Thomas, mais il y a des moments plus faibles, par exemple les récitatifs, pas très travaillés, là où un Verdi fait des choses magnifiques même dans ses petits ouvrages. C’est pour moi la faiblesse de l’œuvre. Sa force en revanche, c’est sa formidable invention instrumentale, par exemple les soli pour trombone, saxophone, cor. L’ensemble flûte-clarinette-trompette-cor-harpes derrière la scène est aussi très audacieux, ou encore le spectre surnaturel amplifié déjà à l’époque. |
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À la création en 1868, il n’était pas possible de tuer Hamlet sur scène en France, ni à l’opéra ni au théâtre, mais il existe une version anglaise où le rôle-titre. Pourquoi avoir gardé la première aujourd’hui ?
J’ai dirigé les deux versions d’Hamlet, mais pour Marseille, nous avons privilégié celle de Paris à celle de Covent Garden, d’autant que la mise en scène était prévue pour la première. Et puis même si évidemment cela donne le choix de laisser Hamlet vivant ou de le faire mourir, musicalement, il n’y a qu’une à deux minutes qui changent. |
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Si nous quittons Shakespeare pour nous pencher sur votre répertoire marseillais depuis 2012, vous avez dirigé aussi Wagner et Verdi. Comment orientez-vous vos choix ?
J’adore l’opéra français et particulièrement Massenet, c’est pourquoi nous donnerons l’année prochaine Hérodiade. Pour toujours proposer un Verdi, après Don Carlo, nous monterons Ernani, dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda. Malheureusement, on hésite parfois à programmer des mises en scène risquées, parce qu’on est obligé de plaire au plus grand nombre. Nous faisons donc attention aux metteurs en scène et au choix de répertoire, mais je suis très heureux de pouvoir retravailler avec Grinda, dont j’avais adoré le Falstaff. |
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Que choisiriez-vous si vous pouviez diriger ce que vous voulez ?
J’essaie de persuader Maurice Xiberras, directeur de l’Opéra, de monter Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, qui n’a pas été joué depuis des années dans le sud de la France. C’est un chef-d’œuvre négligé et j’espère pouvoir le proposer ici. Il y a d’autres ouvrages, comme Lulu par exemple, dans l’ancienne version en deux actes. J’ai dirigé la première Lulu américaine, avec Evelyn Lear à Houston, avant que le troisième acte n’ait été achevé par Friedrich Cerha. C’est un opéra qui me tient d’autant plus à cœur que j’étais à la première au Theater an der Wien, lorsque j’étais élève de Karl Böhm. |
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Vous êtes à Marseille depuis 2012, après avoir quitté Montpellier. Teniez-vous absolument à rester dans le Sud après avoir aussi dirigé Monaco, Barcelone et Lisbonne ?
C’est peut-être une coïncidence, mais je me sens bien dans le Sud. Concernant Marseille, quarante-huit heures seulement après que j’ai quitté Montpellier, où cela s’est très mal passé avec le directeur de l’Opéra, Maurice m’a appelé et j’ai dit oui tout de suite. Depuis quatre ans, il y a une ambiance de travail formidable et l’orchestre a beaucoup progressé. En 2010, votre collègue du Figaro avait listé les plus grands orchestres en France, et Marseille arrivait dans les derniers. Aujourd’hui, on vient de se produire pour la deuxième fois au festival de Bad Kissingen, où nous avons été réinvités tout de suite après notre prestation d’il y a deux ans. Puis nous avons été invités en tournée en Chine, c’était la première fois que l’orchestre se produisait à l’étranger. |
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On perçoit en effet depuis une décennie une nette progression. Comment expliquer un tel changement ?
C’est une combinaison d’éléments. D’abord l’implication de l’administration, de Maurice Xiberras, qui comprend tout et a une véritable oreille et un vrai sens musical. Vous pouvez juger un orchestre aussi par les gens qui le représentent, les délégués et les comités. Ici, le comité musical ne comporte que de très bons musiciens pour lesquels j’ai un total respect. Avec d’autres ensembles, on se dit parfois que les syndiqués sont ceux qui parlent beaucoup parce qu’ils ne jouent pas très bien.
Et puis, il y a aussi la complicité de la municipalité, car si une place se libère dans l’orchestre, on remplace, on ne prend pas un vacataire, on maintient religieusement l’effectif de l’orchestre. Enfin, cela fonctionne en général très bien chimiquement entre l’orchestre et moi. Pas toujours, car parfois on s’engueule, mais sinon, on ne serait pas à Marseille ! |
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Comment travaillez-vous avec les musiciens ?
Je parle très peu. J’arrête quelques fois, je dis ce que j’ai à dire, mais j’essaie de ne pas parler beaucoup, car je trouve que beaucoup de jeunes chefs parlent beaucoup trop. Je peux être bavard après la répétition, mais pendant le travail, j’entraîne surtout l’orchestre à suivre le geste. |
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Pensez-vous que l’Orchestre de l’Opéra de Marseille a une couleur et une identité sonore spécifiques ?
C’est un orchestre français, avec des couleurs françaises dans les cuivres, les bois, qui sont parfaites pour jouer Hamlet. Il y a aussi une homogénéité des cordes qui est très rare dans ce pays. Ce n’est pas dans la nature française de se soumettre dans la globalité, les comportements sont ici plus individualistes. Cela vient notamment de l’éducation, car en France, on joue trop tard dans un ensemble, il faut déjà huit ou neuf ans de pratique musicale pour commencer à jouer dans une formation. C’est très différent en Allemagne ou dans les pays anglo-saxons, donc on perd au départ un peu la discipline.
Et puis il est difficile pour tout musicien, et particulièrement pour un musicien de valeur, d’adapter sa façon de penser la musique. Il faut donc non pas imposer, mais faire adhérer. Je déteste la dictature des chefs et la plus grande influence pour moi a certainement été Bruno Walter, que j’ai connu lorsque j’avais 19 ans, et que j’ai assisté à tous ses enregistrements pour CBS. J’ai donc appris une façon d’approcher la musique et l’écoute des musiciens, à les laisser faire et à dialoguer. Walter faisait cela fantastiquement. |
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Nous parlons surtout d’opéra mais il y a aussi les concerts symphoniques.
Cette saison, nous avons une dynamique sur la création contemporaine, et nous avons programmé quatre concerts où les compositeurs viendront diriger une de leurs œuvres au milieu d’un programme classique. Nous accueillerons Mantovani ou Penderecki pour qu’ils dirigent chacun un de leur concerto. Nous allons aussi continuer à aller chaque année à la Roque d’Anthéron, là où nous n’étions pas invités auparavant. |
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De nouvelles tournées sont prévues également.
Nous serons en effet en résidence au festival de Napa Valley en Californie pour deux semaines au mois de juillet. S’ils ne boivent pas trop de vin californien, les musiciens joueront bien ! Et il le faut, car nous allons accompagner des solistes comme Renée Fleming et Gil Shaham. En route pour les États-Unis, nous passerons aussi par Bad Kissingen et le Concertgebouw d’Amsterdam. C’est dans les tournées qu’un orchestre gagne en qualité. Tous les orchestres doivent faire des tournées, car elles obligent à vivre vraiment ensemble, à jouer ensemble sous la pression. C’est un défi énorme, et il faut trouver une grosse énergie car c’est épuisant. Mais en termes de reconnaissance et de fierté, cela joue un rôle sur le travail et le rendu. |
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Vous êtes né aux États-Unis mais vous avez toujours gardé un lien avec la Roumanie, et notamment le festival Enesco. Pensez-vous monter Œdipe un jour à Marseille ?
Vous savez, pour parler comme dans la chanson de Johnny Cash, I’ve done my time, et je pense qu’avec Enesco, j’ai fait mon temps, sauf le 21 octobre où pour mon anniversaire, je dirigerai à Monaco le Concerto pour piano n° 23 de Mozart avec Radu Lupu, puis la Troisième Symphonie d’Enesco.
Ă€ voir :
Saison lyrique et symphonique 2016-2017 à l’Opéra de Marseille.
Concert anniversaire des 75 ans de Lawrence Foster le 21 octobre Ă Monte-Carlo.
Festival de Napa Valley, du 14 au 23 juillet 2017. |
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