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ENTRETIENS |
21 novembre 2024 |
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Jérôme Brunetière, l’opéra pour tous à Toulon
Récemment nommé à la direction de l’Opéra de Toulon, Jérôme Brunetière, passé par Paris sous Mortier et Aix sous Foccroule et Audi, prend les rênes de sa première maison lyrique avec pour projet de développer encore l’institution dans la ville et la région, notamment par l’attirance d’un public toujours plus nombreux et toujours plus diverse.
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Vous êtes depuis septembre le nouveau directeur de l’Opéra de Toulon. Pouvez-vous nous décrire ce qui vous a attiré dans le poste ?
Tout d’abord, l’opéra me passionne et me touche depuis l’enfance, et j’ai la chance d’avoir pu faire en sorte que ma vie professionnelle soit au service de cette forme d’art. Dans mon parcours, j’ai appris beaucoup dans de nombreux métiers au sein de cette discipline, y compris parfois sur scène, puisque j’ai chanté très tôt dans des chœurs, avec pour résultat de vivre de l’intérieur certaines productions, avant de développer mes connaissances lors de mes différentes fonctions à l’Opéra de Paris puis au Festival d’Aix-en-Provence. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à être en soutien des projets portés par les directeurs avec lesquels j’ai travaillé, Gerard Mortier, Bernard Foccroulle ou encore Pierre Audi, mais depuis quelque temps, j’avais envie d’être moi-même le porteur de projets.
L’Opéra de Toulon cherchait un nouveau directeur et la ville me paraissait intéressante, car en pleine mutation et sur une dynamique très positive, avec des collectivités locales et une métropole qui ont compris comment la culture pouvait être un levier pour propulser l’image de la ville. L’opéra est un très beau théâtre avec un public fidèle, d’une région avec une grande diversité sociale et d’origine, dont une certaine harmonie se dégage. Tout cela m’a fait sentir qu’il y avait là les bases d’un beau projet culturel, à développer et à construire sur les bases du travail de Claude-Henri Bonnet. |
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Claude-Henri Bonnet était en effet en poste depuis vingt ans et a su intégrer l’opéra à la vie toulonnaise. Comment pensez-vous faire évoluer cette institution ?
Indépendamment du passé, l’Opéra de Toulon va entrer dans une période particulière, puisqu’il va fermer à la fin de cette saison pour deux ans et demi de travaux de restauration et de rénovation. Ces modifications ambitieuses vont véritablement transformer la machinerie et les systèmes d’intervention sur la scène. Nous possédons donc déjà un bel outil, mais il va encore se moderniser pour devenir un théâtre ultra-moderne, et pendant cette période, nous allons jouer dans différents lieux de la ville, adaptés à la musique, mais pas forcément à l’art lyrique.
Inéluctablement, cette situation va encore nous dynamiser dans la rencontre de publics qui ne sont pas forcément ceux habituels. Cela va donc créer une passionnante démarche de diversification et de rencontre, avec le besoin de réfléchir autrement, dans un but finalement non pas temporaire, mais dans l’idée d’un prolongement pour l’avenir. En termes de répertoire, je pense que quand on est un acteur comme l’Opéra de Toulon, dans une ville de taille moyenne du sud de la France, l’offre se doit d’être diverse et d’emmener vers des découvertes, autant que de servir le grand répertoire adoré par le public.
Par rapport à d’autres institutions plus grandes et aux budgets plus importants, dont le Festival d’Aix où j’étais auparavant, Toulon n’a pas la même vocation à inviter les grandes stars ; nous pouvons le faire de manière occasionnelle, notamment au concert, mais avons avant tout vocation à faire émerger les talents et à donner une expérience aux artistes prometteurs. J’avais déjà beaucoup travaillé sur ces orientations avec l’Académie d’Aix, et promouvoir la jeune génération de chanteurs sera à nouveau un élément très important de mon projet. Par ailleurs et dans la continuité de ce qu’a réalisé mon prédécesseur, je voudrais poursuivre le renforcement de la solidité des forces musicales de la maison, avec un orchestre de grande qualité qu’il faut continuer à développer, tout comme le chœur, très important. |
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Bien que les lieux changeront régulièrement, les prochaines saisons ressembleront-elles à 2022-2023, dans laquelle s’inclut le rare opéra-comique Si j’étais roi d’Adam ?
Ayant été nommé en mai et arrivé en septembre, je n’ai pas programmé la saison actuelle et m’en occupe seulement pour sa mise en place. Par la suite, les contraintes de lieux vont forcément nous obliger à proposer plus d’opéras en version de concert pendant les travaux, mais en termes de répertoire et de types d’ouvrages, cette saison me semble déjà parfaitement équilibrée avec six productions lyriques, de la danse ainsi que des concerts symphoniques pouvant aussi comprendre du vocal, en plus d’une offre de musique de chambre. Peut-être que des surprises viendront s’intégrer, mais l’architecture ressemblera à celle actuelle.
Si j’étais roi est une magnifique redécouverte d’un ouvrage léger de qualité, qu’il faut remettre dans un contexte historique et qui a un véritable intérêt à être revisité. Le fait que ce soit en plus un opéra français ajoute à l’envie de remonter l'œuvre, mais c’est avant tout sa qualité musicale qui a primé, et c’est un plaisir de porter cet opéra dès le début de ma première saison toulonnaise. |
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Par rapport au répertoire contemporain et à la mise en scène moderne, quelle sera votre approche ici ?
La série de comédies musicales américaines, dont nous reprenons Wonderful Town de Bernstein cette saison, est une très grande réussite et a justement permis d’amener un nouveau public. Cette approche sera donc clairement référente pour les prochaines saisons et je pense orienter une partie du répertoire du XXe siècle vers ce type d’ouvrage, plutôt que vers ce que je considère comme des chefs-d’œuvre du répertoire contemporain, malheureusement plus complexes à porter vers le public et moins appropriés pour le moment à une maison d’opéra comme Toulon.
Concernant les mises en scène, la querelle des anciens et des modernes n’a pour moi plus aucun sens en 2022. Dans les deux camps, si tant est que l’on puisse encore parler ainsi, certains façonnent de grands spectacles et d’autres passent à côté ou s’intéressent peu à l’ouvrage qu’ils traitent. Finalement, le critère d’efficacité est totalement indépendant du choix esthétique de fidélité ou non à l’époque du livret ou de la création de l'œuvre. C’est à mon avis une non-question, et plutôt que me demander si un artiste est moderne ou classique ou encore provocateur, je préfère m’orienter vers des metteurs en scène avec un vrai sens de la dramaturgie, de la direction d’acteurs et un véritable sens du spectacle. Nous verrons donc de tout à Toulon, en termes de répertoires comme de mises en scène ! |
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En dehors de la question du répertoire, comment allez-vous capter les publics des prochaines saisons pour maintenir un fort remplissage ?
De diverses manières : il y a des choses très importantes que j’ai beaucoup pratiquées à Aix et qui sont faites à Toulon avec une grande qualité, notamment quant aux démarches dites de médiation, qui consistent à aller vers le public. Toutes les actions envers les univers scolaires, associatifs ou même politiques, où la musique classique est devenue selon moi trop peu présente, étaient déjà très bien réalisées et je pense les renforcer. Cela passe aussi par la formation des enseignants, des professeurs des écoles et même des professeurs de musique, afin de redonner de la place et de la visibilité à l’opéra.
Concernant les politiques, j’ai déjà évoqué la chance d’avoir un véritable soutien à Toulon : ils ont une vraie fierté à avoir un bel opéra et un théâtre dynamique dans la ville. Cela se traduit également par l’attractivité du territoire, croissante et qui se démarque aussi par la qualité de son offre culturelle. La Métropole a clairement compris cela, et c’est elle qui porte principalement la campagne de travaux de modernisation à venir. Il faut rappeler que l’opéra n’est pas une forme élitiste et que par exemple, 20 000 personnes sont touchées chaque année par cet art dans le service éducatif à Toulon, avec des émotions parfois très fortes, pourvu qu’on accompagne le public.
Dans le même temps, il est très important d’avoir en tête que, lorsque l’on crée une saison, l’élément primordial pour attirer reste la programmation. Il faut savoir à qui l’on s’adresse, à quel public, avec quelle histoire et dans quelle esthétique on va lui proposer les œuvres, non pas dans une vision marketing pour formater un produit qui correspond à la demande, mais dans une intelligence de qui sont les auditeurs et avec une volonté de faire partager cette forme d’art qu’est l’opéra, pour moi profondément moderne. Si le public ne vient pas, ce n’est pas qu’il n’est pas assez bien pour nous, mais avant tout qu’il n’est pas intéressé par ce que l’on fait. Alors, et surtout sans nivellement par le bas, il faut réussir à toujours le garder captif et à s’adresser à lui de la bonne façon. |
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