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SELECTION CD 22 décembre 2024

Jalon brucknérien



Il aura fallu attendre presque neuf mois, durée d'une gestation digne de ce nom, pour que RCA publie la 5e de Bruckner donnée par Harnoncourt et les Wiener Philharmoniker à Vienne en juin 2004. Et le moins que l'on puisse dire est qu'il s'agit du plus beau bébé du monde. Comme nous l'avions alors annoncé, un jalon de l'interprétation brucknérienne.


Le 14/03/2005
Yannick MILLON
 

  • Jalon brucknérien
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     Jalon brucknérien

    Bruckner au firmament



    Anton Bruckner (1824-1896)
    Symphonie n° 5 en sib majeur, WAB 105
    Edition Nowak (+ remaniements du manuscrit 36.693 de la ÖNB)

    Wiener Philharmoniker
    direction : Nikolaus Harnoncourt
    enregistrement : Vienne, Musikverein, 7-14 juin 2004.

    2CD RCA Red Seal 82876 60749 2
    (1 SACD hybride + 1 CD de répétitions)


    Il y a maintenant presque un an, nous évoquions dans notre colonne concerts (Bruckner au firmament) une 5e symphonie de Bruckner par Nikolaus Harnoncourt et les Wiener Philharmoniker à la salle dorée du Musikverein de Vienne. L'enregistrement RCA qui paraît ce printemps a été réalisé pendant cette série de concerts d'abonnements de la Philharmonie, la plus grande discrétion ayant alors été exigée d'un public très habitué à cette discipline. Il faut dire aussi que la stupéfiante qualité de cette 5e avait de quoi refouler bien des toux et sécrétions irritantes. Restait à savoir si l'émotion de l'instant passerait sans perte la barrière du disque. La réponse est oui.

    Une nouvelle partition

    A l'issue du concert, le chef d'orchestre nous avait invité à consulter à la Bibliothèque nationale autrichienne le manuscrit de la copie que Bruckner avait réalisée pour son dédicataire, le ministre de l'instruction publique Karl Ritter von Stremayr, qui reflète les dernières volontés avérées du compositeur, ignorées des éditions critiques de Haas (1935) et Nowak (1951), le manuscrit perdu n'ayant été retrouvé qu'en 1979. Toutefois, avant sa mort, Nowak, dans un addenda de 1989, avait fait état de la redécouverte du fameux manuscrit et de ses précieuses informations sur quelques remaniements, notamment dans les silences et points d'orgue du Scherzo et la toute fin du mouvement lent, avec sa phrase de flûte et clarinette beaucoup plus suspendue, qu'on croyait des élèves de Bruckner, mais que l'expertise graphologique a bien confirmé comme de la main du compositeur. La partition en question, utilisée pour cet enregistrement, sera publiée prochainement à Vienne dans le cadre de la Bruckner Gesamtausgabe.

    CD bonus d'une heure et quart de répétitions

    Mais revenons à l'enregistrement. Outre un texte admirable de Benjamin Gunnar-Cohrs dans le livret, l'éditeur a adjoint un second CD de soixante-quatorze minutes de répétitions – en allemand seulement – qui permettent de prendre la mesure de la compréhension intime de l'univers brucknérien par le « pape du baroque ». Jamais la complexité structurelle de l'oeuvre, ses entrelacs contrapuntiques, n'ont été à ce point clarifiés, disséqués, avec une réflexion sur les articulations, les appuis dans les sujets fugués, qui sonnent ici comme une évidence.

    On se délectera de la clarté de la direction d'Harnoncourt – la précision des jeux rythmiques de l'Adagio, pour une fois battu vraiment à deux temps –, dont la science rhétorique, structurelle et contrapuntique alliée à la sublime tradition sonore des Viennois livre sans doute à ce jour la version absolue d'une symphonie réputée austère. Loin de tromblons avides de décibels, les cuivres du Philharmonique de Vienne sont en état de grâce, avec leur intonation à la précision de synthétiseur évoquant en permanence la profondeur et les contours d'un grand orgue, et avec un velouté et une rondeur surnaturels, même dans les nuances les plus extrêmes.

    © Marco Borggreve / BMG

    Et preuve si besoin était qu'Harnoncourt ne s'en tient jamais bêtement à la lettre mais se plie toujours en dernier recours à l'esprit : pour ne pas subir de perte de tension dans les roulements de la monumentale coda du Finale, il double la partie de timbales. Ajoutez à cela la frappe foudroyante du timbalier viennois – un Scherzo absolument lapidaire –, et vous tenez un immense Coup de coeur Altamusica, l'un des témoignages brucknériens majeurs de ces vingt dernières années, aux côtés de la 9e enregistrée à Salzbourg par les mêmes interprètes.

    Thielemann, dont la 5e captée en live à Munich en novembre dernier doit paraître sous peu chez DG, aura fort à faire pour s'élever aussi haut.

     
    Yannick MILLON


     

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