La mort du chant français |
Hector Berlioz (1803-1869)
Benvenuto Cellini, opéra en deux actes (1834-1838)
Livret d’Auguste Barbier et Léon de Wailly
Gregory Kunde (Benvenuto Cellini)
Laura Claycomb (Teresa)
Darren Jeffrey (Balducci)
Peter Coleman-Wright (Fieramosca)
Andrew Kennedy (Francesco)
Isabelle Cals (Ascanio)
Jacques Imbrailo (Pompée)
John Relyea (le Pape Clément VII)
Andrew Foster-Williams (Bernardino)
Alasdair Elliott (le Cabaretier)
London Symphony Chorus
direction : Joseph Cullen
London Symphony Orchestra
direction : Sir Colin Davis
Enregistrement : Live, Barbican Center, London, 26 et 29/06/2007
2 Hybrid-SACD LSO Live LSO0623
Nombre de nos confrères font régulièrement part de leur enthousiasme devant la bonne santé du chant français. Si par « chant français », on entend « représentativité des chanteurs français », on se réjouira de concert devant la renommée incontestable des jeunes chanteurs hexagonaux, dont on a pu d’ailleurs vanter à l’occasion les mérites.
En revanche, si par « chant français », on entend l’école qui a accouché jusque dans les années 1950 de ces dizaines de Pelléas et Mélisande audibles in extenso sans consulter une seule fois le livret et que le disque a su préserver – ceux de Désormière, d’Ansermet et de Fournet avant tout –, et qui subjuguent aujourd’hui encore par leur sobriété stylistique, leur refus de tout effet, de toute emphase, où chaque syllabe est émise sans artifice ou gonflement, où chacun chante avec sa vraie voix, sans truquer, délivrant une diction d’une pureté de cristal, on ne partagera pas cet élan de bonne humeur.
Pourtant, la mort du chant français telle qu’on est obligé de la reconnaître aujourd’hui n’est en rien une fatalité, mais bien plutôt le fruit d’un problème d’éducation, de culture. Il nous faut donc reprendre une fois encore notre bâton de pèlerin pour que la notion d’école nationale, et au premier chef la nôtre, celle d’un Vanzo chantant Nadir, d’un Thill chantant Éléazar, d’un Chauvet chantant Énée, ne soit pas vain mot, et relativiser les triomphes accueillant neuf fois sur dix des productions d’opéra sombrant dans le plus confus des sabirs et un grand lyrisme mondialisé qui n’ont rien à voir avec le chant français historique.
À l’heure des émissions verrouillées et des voix toutes plus grossies les unes que les autres, le nouveau Benvenuto Cellini de Davis cristallise mieux que tout autre les abîmes où a sombré le chant français. On n’incriminera pas tant les chanteurs, qui, bien souvent, et même à haut niveau, acceptent les rôles qu’on leur propose, que les agents et les responsables des distributions des grandes salles – en précisant qu’en France, c’est le plus souvent dans les régions qu’on entend le français le plus satisfaisant, quand Paris s’obstine dans les « prestigieux » Hoffmann hors-style et impossibles d’accent de Shicoff ou Villazón…
Un rôle-titre au style indéfendable
On ne comprendra guère mieux ce qui peut pousser à laisser à la postérité le Cellini d’une vulgarité à toute épreuve de Gregory Kunde, déjà pas irréprochable chez Nelson, mais ici affligé d’un accent prononcé et surtout d’un style indéfendable : émission poussive, vibrato effrayant, déballage de tripes à la mode vériste, demi-teinte cadavérique de l’aigu, ligne ruinée par d’incessantes attaques par en dessous – Une heure encore. Vingt secondes du rôle-titre par Gedda, considéré comme un peu léger et exotique en son temps, remettront impitoyablement les pendules à l’heure.
Idem de la Teresa épouvantail et hululante de Laura Claycomb, de timbre mastoc, d’aigu criard – tout l’opposé des délicatesses d’une Eda-Pierre – et dont on ne capte par moments pas un traître mot. En conséquence, les dialogues, dans l’outrance permanente, tournent vite au ridicule. Nous ne pousserons donc pas plus avant la revue de la distribution, par pure décence, la seule francophone d’un plateau bien british – Isabelle Cals – s’avèrant aussi approximative que ses collègues.
Dommage, car reste évidemment la direction experte – ainsi que les grognements audibles – de Sir Colin Davis, dont l’amour pour l’ouvrage transparaît à chaque mesure, et qui porte un London Symphony Orchestra de toute splendeur, sans doute même supérieur de timbres, d’ouvragement des textures au BBC Symphony du premier enregistrement.
Précisons toutefois que la version de la partition du chef britannique, qui a passé l’âge des remises en question, ne correspond à aucune mouture précise du texte de Berlioz, mais à une sélection personnelle, loin de la volonté d’exactitude et de l’appareil critique d’un John Nelson.
On s’en tiendra donc au premier enregistrement de Sir Colin (Philips), pour son authenticité musicale sinon musicologique, son plateau idiomatique et sa joie pionnière, et à celui de Nelson (Virgin), nettement plus imparfait dans le détail – le décharnement de Ciofi, les aberrances naissantes de Kunde, le manque d’arêtes rythmiques du chef – mais offrant de plus grands scrupules quant au texte musical.
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