Bruckner in excelsis Deo


Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 9 en ré mineur
Lucerne Festival Orchestra
direction : Claudio Abbado
Enregistrement live : KKL, Lucerne, 21-26 août 2013
CD Deutsche Grammophon 479 3441
Si l’on associe plus facilement les contours d’une exécution idéale à la Neuvième de Bruckner de 1996 que l’on vient de commenter (ou à celles, encore supérieures en tenue, de Giulini, la plus belle de toutes, et de Bernstein, presque mahlérienne, d’une tension phénoménale), force est de constater que l’écho du tout dernier concert d’Abbado à Lucerne le 26 août 2013 (mêlé à des prises de quelques jours plus tôt) possède une réelle singularité dans la discographie, et apporte un nouvel éclairage qu’il faut récompenser.
Les tensions harmoniques, les conflits masculin-féminin, les grandes péroraisons fruits de crescendos portés sur des dizaines de mesures, la densité du tissu orchestral à l’approche d’une mort qui emportera Bruckner avant le terme du Finale de cette ultime partition s’arrêtant sur les suspensions de quatre cors au plus haut des cieux, Abbado les troque au soir de sa vie contre une approche sereine, apaisée, décantée presque, dans des textures radieuses et constamment porteuses d’espoir, laissant entrevoir un autre monde sans dureté, délivré des contingences terrestres et douleurs d’ici-bas, dans un océan sonore délicatement lumineux.
L’énoncé si douloureux du thème de cordes ouvrant l’Adagio est ici tout en intériorité, comme privé de tension, comme si le maestro avait demandé à ses troupes d’adoucir les abysses angoissées de la corde de sol des violons, de même que les sublimes déplorations des tubas wagnériens n’ont plus rien d’un Jugement dernier, prônant seulement une absolue sobriété.
Le risque était grand de lisser ce massif symphonique, d’en émousser les contours, et pourtant, grâce à une vie intense de chaque note, nourrie juste le nécessaire, de chaque intervention soliste, on ne tombe jamais dans l’extase exsangue qui a handicapé l’ultime lecture d’un Celibidache.
La pulsation discrète d’Abbado, cette manière d’illuminer la matière font que l’on traverse cette heure de spiritualité émerveillé. La photo présente sous le support transparent du CD, montrant le chef quittant la scène pour la coulisse à l’issue du concert tandis que les musiciens se congratulent et se préparent à sortir à leur tour, prend le sens d’un adieu tout particulier.
Le chef milanais a réussi à abolir les frontières de la tension tout en respectant l’organicité d’une partition en rien défigurée par ses choix, mais qui s’enrichit au contraire d’une dimension supplémentaire ; ce qui n’est vraiment pas donné à tout le monde. C’était sans doute aussi cela, l’art lumineux de Claudio Abbado !
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