Karl Böhm, la grande tradition

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
9 Symphonies
Johannes Brahms (1833-1897)
4 Symphonies
Rhapsodie pour alto
Christa Ludwig, alto
Variations sur un thème de Haydn
Ouverture Tragique
Wiener Philharmoniker
Franz Schubert (1797-1828)
8 Symphonies
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
46 Symphonies
Berliner Philharmoniker
direction : Karl Böhm
Enregistrements : Musikverein, Vienne, 1970-1972 (Beethoven), 1975-1977 (Brahms) ; Jesus-Christus-Kirche, Berlin, 1959-1966 (Mozart), 1963-1971 (Schubert)
22 CD Deutsche Grammophon 480 7484 6

Si, ce Noël, nous allons mettre tout particulièrement l’accent, concernant les CD, sur de gros coffrets, c’est que l’heure s’y prête comme jamais, Universal Italie ayant fait le choix depuis quelques mois de regrouper en parutions thématiques des pans entiers de son fonds de catalogue, dans de jolies boîtes, et surtout à des prix attractifs jusque-là inimaginables.

Comme il s’agit probablement de l’ultime occasion d’acquérir ces sommes musicales sur un support CD dont on craint, malgré notre attachement, qu’il vive plus ou moins son dernier souffle à l’heure où la dématérialisation tend à se généraliser, il faut plus que jamais en profiter. Pas d’inquiétude toutefois concernant la provenance transalpine des coffrets, car obtenir des CD via Universal Italie n’exige plus de contorsions, les sites de vente en ligne pratiquant désormais tous l’import sans exception.

Amazon, notamment, propose les coffrets qui seront critiqués ce mois de décembre à un prix imbattable, tout particulièrement sur le portail Amazon.it, où l’on se frotte les yeux tant les chiffres annoncés sont sans aucune concurrence ne serait-ce qu’avec le portail français, l’écart pouvant aller parfois du simple au triple (142,90€ sur le site français contre 34,90€ sur le site italien pour le coffret Böhm neuf). À bon entendeur…

Pour inaugurer cette série sur les grands chefs dans ce calendrier de l’avent, commençons par le Doktor Karl Böhm, qui aurait fêté cette année son cent-vingtième anniversaire, et dont Deutsche Grammophon a regroupé ici quatre intégrales bien connues, celles des Symphonies de Beethoven et Brahms avec les Wiener Philharmoniker, ainsi que des symphonies de Mozart et Schubert avec les Berliner.

Rien d’inédit évidemment, rien que du très connu et fort réputé, sans oublier qu’au prix évoqué plus haut (in Italia, sì Signor !), quoique les tarifs varient de jour en jour sur Amazon, on se trouve face à une véritable aubaine, nichée au milieu d’une centaine d’autres juteux coffrets Universal bradés jusqu’à la Saint-Sylvestre.

Le mélange de rigueur, de grand style, l’absence totale d’effets extérieurs ou gratuits, l’effacement derrière le texte de Böhm ont toujours compté parmi ses qualités majeures dans son cœur de répertoire. Le cycle Beethoven des années 1970 (auquel il n’aurait pas coûté cher d’ajouter les cinq ouvertures enregistrées en parallèle et jusqu’à ce jour toujours proposées en complément) reste au bout de quarante ans un jalon du disque – une Héroïque olympienne, une Huitième toute en ironie cassante, une Neuvième immense.

Grâce à des Wiener royaux, impériaux, à un mélange de tension, de poigne et d’autorité sans la moindre faiblesse, le chef autrichien s’avère un interprète beethovénien majeur, pour ne rien dire des Brahms, tout aussi réussis, bénéficiant des plus belles couleurs du monde (les violoncelles dans l’aigu, ces cordes constamment lumineuses, l’éclat mordoré des cuivres), et cette fois non privés des compléments des premières éditions : Rhapsodie pour alto avec l’impériale Christa Ludwig, Variations sur un thème de Haydn, Ouverture Tragique.

La légende du Philharmonique de Vienne saute instantanément aux oreilles dans ces Beethoven et Brahms sur les sommets sans doute pour l’éternité, même si l’on sent qu’à la fin des années 1970, dans Brahms, le maestro largement octogénaire n’a plus la mainmise imparable qu’il conservait encore quelques années auparavant dans Beethoven.

Les Schubert berlinois, antérieurs, plus austères, jamais souriants, jamais nostalgiques, gagnent aux sombres couleurs d’Allemagne du nord une grandeur pas toujours départie de pesanteurs – certains menuets, certaines transitions de la Neuvième, que Böhm a souvent mieux réussie à Vienne (vidéo Unitel avec les Philharmoniker ou les Symphoniker) ou encore à Dresde (CD DG), mais emportent l’adhésion par leur absence totale de faute de goût.

Même constat pour les 46 Symphonies de Mozart, qui, si elles n’ont pas la majesté sonore, pour les dernières, des remakes années 1970 à Vienne, n’en demeurent pas moins la meilleure démonstration possible de ce que la formation des grands maestros nés à la fin du XIXe siècle pouvait donner en termes de probité, de métier, de sérieux, pour autant jamais avare d’imagination ou d’expressivité, quand bien même on a connu bois plus colorés que ceux des Berliner des années 1960 (la flûte particulièrement), et plus grande justesse musicologique, particulièrement dans les premiers opus.

Des prises de son modèles (les gravures viennoises sont d’une absolue somptuosité) ajoutent au prestige de disques qui, ainsi regroupés, forment un coffret dont aucun amateur de grande tradition symphonique ne saurait se passer.