8 déc. :
Peter Grimes Ă la Scala |
L’art du lynchage
Benjamin Britten (1913-1976)
Peter Grimes
John Graham-Hall (Peter Grimes)
Francesco Malvuccio (John)
Susan Gritton (Ellen Orford)
Christopher Purves (Captain Balstrode)
Felicity Palmer (Auntie)
Ida Falk Winland (Niece)
Simona Mihai (Niece)
Peter Hoare (Bob Boles)
Daniel Okulitch (Swallow)
Catherine Wyn-Rogers (Mrs Sedley)
Christopher Gillett (Rev. Horace Adams)
George Von Bergen (Ned Keene)
Stephen Richardson (Hobson)
Luca di Gioia (A Lawyer)
Annalisa Forlani (A Fisherwoman)
Orchestra e Colo del Teatro alla Scala
direction : Robin Ticciati
mise en scène : Richard Jones
décors et costumes : Stewart Laing
Ă©clairages : Mimi Jordan Sherin
préparation des chœurs : Bruno Casoni
captation vidéo : Patrizia Carmine
Enregistrement : Scala, Milan, mai 2012
1 Blu-ray Disc (ou DVD) Opus Arte OA BD7119 D
C’est une très belle représentation de Peter Grimes, filmée par la Rai à la Scala en juin 2012, qui est sortie chez Opus Arte à la fin d’une vague de parutions déclenchée par le centenaire de la naissance de Britten en 2013. Toutes les forces de la plus célèbre institution lyrique transalpine étaient alors réunies pour accoucher d’un spectacle transfiguré par ce très beau Blu-ray.
La production de Richard Jones, transposée sans le moindre dégât collatéral dans l’Angleterre laborieuse des années 1980, costumes lower class à la laideur assumée à l’appui, insiste largement sur les réflexes primaires de la foule, facilement encline à la vindicte par la puissance du nombre, trahissant par instants d’inquiétants gestes mécaniques ou grossiers, chez des villageois quasi décérébrés par la peur et les rumeurs – les chœurs, pétrifiants d’impact.
Si elle n’était pas si appuyée sur la bêtise des deux nièces ou sur les gamins des rues s’apprêtant à faire passer un sale quart d’heure à John, victime sacrificielle n’ayant pas besoin de l’artifice du souffre-douleur pour avoir de l’épaisseur dans ce rôle muet, la mise en scène serait pleinement éloquente et réussie, d’autant que la scénographie, intérieurs serrés et étouffants, vacillants sous la tempête, et les éclairages, toujours en phase avec la montée du drame, sont de la plus belle efficacité, grâce aussi à une captation dont le seul défaut est de parfois abuser d’inutiles plans en plongée depuis les cintres.
Son élégance aristocratique avait connu ses limites dans Eugène Onéguine à Covent Garden, mais la direction de Robin Ticciati touche ici au sublime, faisant sonner l’Orchestre de la Scala de manière inouïe : peintures marines aux variations atmosphériques et aux irisations sonores somptueuses, habileté à porter le drame avec l’intensité nécessaire sans jamais noyer le plateau. Le jeune Britannique triomphe ici sur toute la ligne, aussi expressif que techniquement affûté, d’un équilibre sonore qui laisse pantois.
Bien que l’on soit à la Scala, la distribution a comme atout majeur d’être presque intégralement anglophone (si seulement les grands opéras européens pouvaient en prendre de la graine lorsqu’ils programment du répertoire français !). En découle forcément un intérêt constant pour les mots de ce livret passionnant, nous laissant suspendus aux lèvres de ce très bel anglais expressif, idiomatique, qui fait qu’on en oublierait presque d’avoir à qualifier les voix tant on est pris par l’intelligibilité de l’intrigue.
John Graham-Hall ne cherche en rien à apitoyer à tout prix en Peter Grimes, justifiant une partie des soupçons de la population à son encontre, attitude tellement plus efficace que de jouer au pauvre hère contre qui tout le monde se braquerait. Volontiers impulsif, brutal, cynique ou arrogant, il n’en est que plus touchant lorsque la cuirasse se fend. Le chant est à l’avenant, timbre éraillé et vibrato usé mais constante présence vocale, déclamation impeccable et juste couleur.
Susan Gritton ne possède pas non plus le plus radieux des timbres, mais en fait un usage expressif d’un bout à l’autre de la représentation, sachant alléger, filer les sons, les faire naître de rien avec un très bel art pour faire vivre Ellen, personnage clé illuminant la dramaturgie bien sombre de l’ouvrage.
Aucune réelle faiblesse chez les comparses, certainement par chez l’impayable Auntie de Felicity Palmer, aiguisée comme un katana, singing formant tout d’une pièce, moins encore chez la Mrs Sedley de Catherine Wyn-Rogers, dont le haut rang social transparaît dans une émission certes sur le déclin mais d’une classe so british.
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