10 déc. :
Willem Mengelberg au Concertgebouw |
Willem Mengelberg, le dompteur fou
Mengelberg – The Concertgebouw Recordings
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Passion selon saint Matthieu
BĂ©la BartĂłk (1881-1945)
Concerto pour violon n° 2
Zoltan Székely, violon
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
9 Symphonies
Ouverture de Fidelio
Johannes Brahms (1833-1897)
Symphonie n° 1
Un Requiem allemand
Amsterdam Toonkunst Choir
CĂ©sar Franck (1822-1890)
Symphonie en ré mineur
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 4 en sol majeur
Jo Vincent, soprano
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie n° 8
Symphonie n° 9
Musique de scène de Rosamunde
Richard Strauss (1864-1949)
Don Juan
Concertgebouw Orchestra, Amsterderdam
direction : Willem Mengelberg
Enregistrements : live, Concertgebouw, Amsterdam, 1939-1941
15 CD Decca Classics 480 7636 9
Amateurs d’eau tiède, passez votre chemin, car ce qui vous attend dans ce coffret Decca de 15 CD distribué par Universal Italie n’a rien de consensuel ! L’art de Willem Mengelberg, dont on se souvient souvent essentiellement de la chevelure hirsute, du regard possédé et de la retraite forcée pour complaisance avec l’envahisseur nazi, revendique haut et fort sa singularité et ses partis pris.
Jusqu’ici, connaissant assez mal la discographie vite épuisée du despote néerlandais, resté un demi-siècle à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam alors fraîchement créé, on en avait surtout l’idée d’un art que Christian Merlin a qualifié dans son ouvrage sur les chefs d’orchestre de « déjà démodé de son temps ».
Ce qui peut se confirmer quant à des libertés rythmiques parfois à peine croyables (le ralenti cocasse de toute la fin de la Neuvième de Beethoven), certaines variations de tempo étrangement placées, comme au-delà de toute logique structurelle. Et pourtant, une fois parvenu au terme de ces quinze disques, on demeure fasciné par l’énergie incroyable déployée par cette baguette dont on sent en permanence une emprise totale sur l’orchestre.
Et jamais on aurait cru y trouver une énergie suicidaire comparable aux gravures de guerre de Furtwängler ou à certains des plus vigoureux Toscanini. Decca a opéré ici une sélection ramassée au sein d’une discographie beaucoup plus riche, se concentrant uniquement sur des prises radiophoniques live d’une magnifique présence de 1939, 1940 et 1941, à un moment de tourmente exacerbée de l’Histoire.
L’idée du coffret étant sans doute de présenter une synthèse de l’interprétation musicale selon Mengelberg, les répertoires les plus différents s’y côtoient. Centrale, l’intégrale des symphonies de Beethoven donnée entre avril et novembre 1940 rejoint par son accentuation forcenée (des cordes en acier trempé, des timbales très noires) et ses prises de risques insensées le cycle Toscanini de l’automne 1939 à la NBC, toutes considérations de stabilité du tempo mises à part.
Une Première Symphonie cravachée comme on n’en a pas idée, une Cinquième époustouflante de grandeur tragique, cassante, d’une poigne féroce, une Pastorale donnant un sentiment de liberté inouï, comme si la composition jaillissait devant nos oreilles, une Septième d’une vigueur incessante, une Neuvième tendue sans répit, voilà l’un des cycles les plus forts qu’on ait entendus au disque. Seule l’Héroïque, jadis éditée chez Teldec, où l’on avait alors cherché à atténuer les craquements (et où les cors multiplient les pains), paraît un peu en retrait. Question de restauration sonore avant tout.
Car a-t-on jamais on entendu une Symphonie en ré mineur de Franck aussi incandescente, soulevant des montagnes sans une once de pesanteur, chantant la détresse du cor anglais et la pompe du Finale à bras le corps ? On pourrait reprendre les mêmes qualificatifs pour une Neuvième de Schubert complètement allumée, dont le Finale est le seul qui puisse se comparer au brasier sonore de Furtwängler en 1942 à Berlin.
Plus marginal, le Requiem allemand de Brahms n’en propose pas moins, malgré de nombreux incidents de concert (la fugue du III, pas loin de la débandade), des chœurs enténébrés et une vision marquée au fer rouge, sans doute en raison du contexte politique, avec de très corrects solistes (un Max Kloos clair, humain, une Jo Vincent fragile mais toujours expressive).
La Quatrième Symphonie de Mahler, si personnelle (mais rappelons-nous ce mot du compositeur ayant affirmé qu’il ne faisait confiance qu’à Mengelberg pour ce qui est de diriger sa musique), s’avère un voyage passionnant, suivi au doigt et à l’œil par des musiciens hypnotisés, de même que l’Inachevée de Schubert, ne ressemblant à aucune autre, emprunte des chemins inouïs au sens premier pour construire une interprétation d’une fascinante mobilité de climats.
Ajoutons à cela l'écho, à la bande abîmée mais au contenu essentiel, de la création mondiale, le 23 mars 1939, du Deuxième Concerto pour violon de Bartók avec Zoltán Székely, une Première de Brahms et des extraits de Rosamunde de Schubert chauffés à blanc, un Don Juan de Strauss en torche vive ainsi qu’une Passion selon Saint-Matthieu totalement périmée de style mais tellement monumentale qu’il faut l’avoir entendue au moins une fois (surtout pour Karl Erb, l’un des plus merveilleux Évangélistes).
Ainsi qu’une volonté de laisser une empreinte sonore de type disque vinyle, avec des craquements et bruits de bande mais une dynamique intacte qu’anéantirait tout filtrage, doublée souvent de longues secondes de réaccord de l’orchestre et des célèbres petits coups de baguette très vifs et autoritaires du maestro sur son pupitre au moment de mobiliser ses troupes.
On tient alors la réévaluation majeure des rééditions 2014 de chez Universal Italie, surprise de taille à côté de laquelle nul amateur d’interprétations transcendantes ne saurait passer. Le tout pour 29 euros sur Amazon.it. Foncez !
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