|
|
SELECTION CD |
22 novembre 2024 |
|
12 déc. :
Ferenc Fricsay, l'intégrale (vol. 1) |
Ferenc Fricsay, la rigueur humaniste
Ferenc Fricsay
Complete Recordings on Deutsche Grammophon
Volume 1 : Orchestral Works
Orchestre Lamoureux
Sinfonie-Orchester des SĂĽddeutschen Rundfunks
Wiener Philharmoniker
Wiener Symphoniker
Bayerisches Staatsorchester
Berliner Philharmoniker
RIAS-Symphonie-Orchester Berlin
Radio-Symphonie-Orchester Berlin
Enregistrements : 1949-1961
45 CD Deutsche Grammophon 479 2691
Il y a cent ans, dans la tourmente de la déclaration de guerre de 1914-1918 naissait à Budapest Ferenc Fricsay, appelé à devenir l’un des plus grands chefs de la seconde moitié de son siècle, mais pour qui le destin n’eut aucun égard en lui faisant endurer le calvaire d’une maladie qui l’emportera en février 1963, à l’âge de 48 ans.
À titre de comparaison, Carlo Maria Giulini, né la même année que lui, s’est éteint en 2005, à un âge pas rare dans une profession où les titulaires dépassent souvent les quatre-vingt-cinq ans. Constat vertigineux quant à ce qu’aurait pu être le monde musical sans cette disparition prématurée.
Car Ferenc Fricsay, c’est avant tout l’incarnation même de l’artiste Mitteleuropa, aux racines profondément ancrées dans la terre, et un rapport à la sonorité nouveau dans l’après-guerre, où régnait encore le grand son romantique, large, épais, puissant, que le Hongrois ne tardera pas à remettre en question dès ses premières gravures, et notamment l’incontournable Cinquième de Tchaïkovski qui inaugurera sa collaboration avec Deutsche Grammophon en 1949, aujourd’hui encore considérée comme l’une des références ultimes de l’œuvre, aux côtés de la gravure stéréo de Mravinski.
L’hommage préparé par le label jaune pour honorer la mémoire de l’un de ses artistes phares tombe donc à pic pour remettre les pendules à l’heure. Ce coffret de 45 CD (avec un très pratique index par compositeur à la fin de son joli livret) annonce une édition complète des enregistrements de Fricsay pour la maison de Hambourg, doublons et triplons compris, studios comme live, et dans des pochettes carton aux couleurs des premières éditions LP (pas toutes du fait des couplages fruit d’une volonté de remplir le minutage du CD par rapport à celui, beaucoup plus chiche, des 33 tours originaux).
Ce volume I est consacré au legs instrumental du maestro, et devrait être rapidement suivi par une autre boîte dévolue aux œuvres vocales. Difficile de savoir par quel bout commencer, l’excellence étant presque toujours de mise, dans un répertoire immense tant chronologiquement qu’au niveau des styles abordés, le tout dans des prises de son au pire extrêmement correctes.
On l’a dit, de manière générale, Fricsay tourne le dos à la tradition germanique, privilégiant une approche plus ciblée, sonorités fines et tendues, tempi nettement plus enlevés, attaques nettes, angles saillants et verticalité des accords, pointe de sécheresse anticipant largement sur certaines relectures beaucoup plus récentes (Haydn).
Ce qui ne veut pas dire qu’il y ait un style Fricsay immédiatement identifiable. Car si dans les ouvertures de Rossini ou les pièces légères, le Hongrois marche clairement dans le sillon d’un Toscanini (un jeu de cordes millimétré, jouissif), on croirait ne pas avoir affaire au même chef dans des Beethoven déromantisés mais relativement lents et austères (une Cinquième, une Héroïque phrasant large, presque brucknériennes), quoique la Neuvième annonce clairement de nouvelles données interprétatives (avec l’un des plus beaux quatuors vocaux imaginables et un chœur de Ste Hedwige en splendeur).
Mozart et Bartók furent en outre les deux boussoles du chef hongrois, qui en livre des interprétations allégées pour le premier (enregistrements Wiener Symphoniker principalement, et très étonnante Petite musique de nuit par des Berliner méconnaissables de rebond), et une vision hongroise de ton et de liberté de phrasés mais jamais dans la pure virtuosité pour le second : des concertos pour piano mythiques avec Geza Anda, un Concerto pour orchestre tourmenté, angoissé, en rien brillant, à l’image des désillusions du compositeur exilé à New York ; une Musique pour cordes, un Divertimento nocturnes, troubles, les contours volontairement flous.
De la même manière, dans chaque pièce hongroise, grâce aux couleurs idéales d’un Orchestre du RIAS (devenu Radio-Symphonie-Orchester Berlin en 1957) très facile à dompter, à éduquer à la musique d’Europe centrale (ces couleurs que nous préférerons toujours dans l’absolu aux flamboyants orchestres américains des concurrents Reiner ou Solti), le côté carte postale s’efface vite devant la pertinence de la recherche dramaturgique et psychologique : la mélancolie incomparable de la clarinette dans les Danses de Galanta de Kodály ou les teintes sombres des deux versions de la suite Háry János.
| |
|
Des partis-pris très assumés
Fulgurant et roide quoique relativement économe en décibels dans Une nuit sur le Mont Chauve, Fricsay s’essaie à une très personnelle Valse de Ravel, aux teintes moussorgskiennes laissant croire à une nuit de Sabbat (les pizz initiaux inquiétants), ambiance de monde déliquescent comme jamais dans cet hommage épuisé, comme ravagé par les tranchées de Verdun, aux fastes de la valse viennoise impériale.
Ancien chef d’orchestre militaire, Fricsay sait parfaitement user de la rigueur rythmique dans un Boléro de Ravel droit dans ses bottes, des Johann Strauss drus, d’une souplesse contrôlée ne virant jamais à la paresse, et une Moldau de Smetana très vive et électrique, tout sauf contemplative, disponible dans trois enregistrements, dont le dernier à Stuttgart est précédé d’une heure de répétition.
Dans les nombreux enregistrements de concertos, si le Tchaïkovski vaut plus pour le chef que pour un Yehudi Menuhin déjà bien aléatoire en 1949, si l’on a connu archets plus légendaires que Wolfgang Schneiderhan dans Mendelssohn, Fricsay a toujours su s’entourer du toucher de grandes dames du piano comme Clara Haskil (Mozart 19, 20 et 27), Monique Haas (Bartók 3, Capriccio de Stravinski), Margrit Weber (Variations sur un thème de Paganani de Rachmaninov, impeccable horlogerie musicale ; Burleske de Strauss constamment ironique et dentelée), ou Annie Fischer (un Rondo K. 382 de Mozart à se dandiner de joie sur son fauteuil).
Comme ses Beethoven, ses trop rares Brahms phrasent clair mais large : un Deuxième Concerto pour piano avec Anda d’une absolue qualité de phrasé, d’une tension des lignes et d’un hungarisme incomparable dans le quatrième mouvement. Sans oublier le seul enregistrement aux côtés des Wiener Philharmoniker, à Salzbourg, dans une Deuxième Symphonie en direct d’une prise de risques inouïe, d’un Finale transcendant, même si l’on n’y cherchera pas une quelconque perfection formelle.
Grand défenseur de la musique de son temps, Fricsay laisse des Richard Strauss de tout premier ordre (un Don Juan, un Till l’espiègle quasi définitifs), des Stravinski cubistes et sombres (Petrouchka moderne, aux arrière-plans grinçants, aiguisé comme une lame de rasoir ; Sacre du printemps idéalement primitif), ainsi que de très belles gravures de pièces de compositeurs allemands de l’après-guerre : Werner Egk (Suite d’après Rameau), Boris Blacher (Variations sur un thème de Paganini) et Karl Amadeus Hartmann (Symphonie n° 6)…
| |
|
Maladie et transfiguration
Mais ce qui ressort toujours in fine de cet art immense, c’est, par delà des critères sonores évidents de modernité, une humanité latente, une expérience de vie allant en s’accentuant avec les années et la maladie. À ce titre, les comparaisons entre les premiers enregistrements de la Neuvième de Dvorak et de la Pathétique de Tchaïkovski et leurs remakes stéréo sont un témoignage bouleversant de l’évolution d’un chef fauché au sommet de son art.
L’électricité de la première Nouveau Monde cède le pas à un vibrant appel de l’âme, tempi bien élargis, attention constante à rendre chaque note expressive, avec des Berliner tout sauf machine de guerre. Même impression pour Tchaïkovski, d’abord infernale course à l’abîme puis chant de détresse déchirant avec le RIAS – les montées de révolte résignées des cordes dans le Finale, ces tenues de cors désespérées (qu’on complètera avec l’ultime live bavarois de 1961 chez Orfeo, expérience d’anéantissement comme il en est peu dans l’histoire du disque).
Et que les inquiets quant à une qualité prétendument moyenne de l’Orchestre du RIAS de Berlin soient rassurés, il s’agissait essentiellement d’instrumentistes transfuges du Staatsoper effrayés par le placement en zone soviétique de leur l’opéra, donc de musiciens tout sauf médiocres, que Fricsay a de toute façon transfigurés, au point de rendre certains enregistrements à leurs côtés plus typiques du chef hongrois que ceux des Berliner, parfois plus difficiles à arracher à leur passé.
Si vous ne savez par quoi commencer, laissez-vous tenter par la Schéhérazade de Rimski, enjôleuse, enveloppée de vapeurs de narguilé, lente et extatique, d’une poésie crépusculaire unique, véritable réappropriation d’un ouvrage souvent essentiellement virtuose, ou encore par l’un des bijoux du coffret, une Danse des heures de Ponchielli absolument grisante d’élan, de contrastes fulgurants, d’accents assénés avec pugnacité.
Et oubliez vite l’horrible photo du chef ornant le coffret, qui risque de faire peur aux enfants (il y en avait pourtant une dizaine de plus présentables dans le livret…), pour vous plonger dans cette somme fondamentale de l’interprétation musicale au siècle dernier.
Note : il ne s’agit pas cette fois d’une parution Universal Italie mais d’un coffret édité aussi par Universal France, avec traduction française des textes à l’intérieur d’un livret de 108 pages. Son prix reste toutefois sans concurrence sur le site Amazon.it.
| |
| Yannick MILLON
1 déc. :
La Flûte enchantée à Salzbourg2 déc. :
Ariane à Naxos à Salzbourg3 déc. :
Karl Böhm - Les Symphonies4 déc. :
Don Carlo à Salzbourg5 déc. :
Classic Archive - Les Chefs6 déc. :
Les Saisons à Salzbourg7 déc. :
Eugen Jochum - Les Symphonies8 déc. :
Peter Grimes à la Scala9 déc. :
Classic Archive - Les Pianistes10 déc. :
Willem Mengelberg au Concertgebouw11 déc. :
Parsifal au Met12 déc. :
Ferenc Fricsay, l'intégrale (vol. 1)13 déc. :
Harnoncourt au Concertgebouw14 déc. :
Eugène Onéguine à Covent Garden15 déc. :
Classic Archive - Les Voix16 déc. :
Mort à Venise à Londres17 déc. :
Lulu à la Monnaie18 déc. :
Written on skin à Londres19 déc. :
Classic Archive - Les Cordes 20 déc. :
Les Maîtres Chanteurs à Salzbourg21 déc. :
Rafael Kubelik - ICON22 déc. :
Dialogues des Carmélites au TCE23 déc. :
Menahem Pressler à la salle Pleyel24 déc. :
Classic Archive - Les Ensembles25 déc. :
Le retour de Maître Ansermet... | |
|