Libéré des tensions terrestres

Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 5 en sib majeur
Édition Leopold Nowak (1951, dernière révision de 2005)
Royal Concertgebouw Orchestra
direction : Nikolaus Harnoncourt
captation : Joost Honselaar
Enregistrement : Concertgebouw, Amsterdam, 25 & 27 octobre 2013

Blu-ray Disc (ou DVD) RCO LIVE RCO 14106

L’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam avait prévu le coup, en ce mois d’octobre 2013, en installant les caméras de Colophon pour immortaliser le concert annoncé comme les adieux de Nikolaus Harnoncourt à une formation avec laquelle il a donné quelque 276 concerts en 38 années de collaboration.

Pour l’occasion, le vieux maestro autrichien avait choisi de remettre sur le métier la Cinquième Symphonie de Bruckner abordée neuf années plus tôt avec les Wiener Philharmoniker à Vienne, puis à Salzbourg un été plus tard, où il avait opéré un retour assez déroutant vers certains critères de la tradition.

L’extraordinaire enregistrement live audio des sessions viennoises initiales auxquelles on avait eu la chance d’assister en juin 2004, malgré l’ajustement psychologique demandé par certaines requêtes du maestro, avait tout de même des contours typiquement brucknériens, dans une approche assez modérément révolutionnaire mais tapant constamment juste.

Il a donc fallu presque une décennie à Harnoncourt pour accoucher d’une lecture de la Cinquième aussi radicale et dégraissée que celle qu’il avait su d’emblée imposer à la Septième Symphonie, car cette fois, il va jusqu’au bout de sa logique avec des instrumentistes néerlandais sans doute plus dociles que leurs homologues autrichiens – quand le pionnier du baroque demande aux cordes du Concertgebouw de ne pas vibrer, le son est réellement droit et pur, alors que chez les Wiener, si les premiers pupitres se tiennent à la consigne, le rang du fond vibre toujours discrètement.

Le tempo, notamment, a beaucoup évolué dans le mouvement lent, qui a perdu plus de deux minutes et demie, et celui du Finale, délesté de deux lui aussi, en raison de deuxièmes thèmes énoncés prestement, avec la légèreté d’une plume. Un amaigrissement de mise également au niveau sonore, avec un Concertgebouw d’une sveltesse hallucinante, cordes laissant constamment la primauté à une kyrielle de détails dans des vents par ailleurs d’une finesse inouïe, cor solo aussi opalescent qu’une flûte.

D’autre part, arrivé au seuil du retrait de la scène amstellodamoise, Harnoncourt emprunte dans Bruckner le même chemin qu’Abbado dans la Neuvième à Lucerne quelques semaines plus tôt, dans une conception toute de lumière, débarrassée de tension et des coups de boutoir d’autrefois, laissant entrevoir un ailleurs apaisé, jusque dans le choix de timbales aux baguettes très tendres (et pas doublées) dans la coda du Finale, où le vieux maestro choisit à deux reprises de baisser soudainement le niveau sonore pour éviter tout sentiment de conclusion épique.

Un art arrivé à pleine maturité chez un artiste toujours concentré sur la seule musique et sa rhétorique, ne s’embarrassant plus des courbettes du protocole bourgeois du concert face à l’appariteur lui tendant pendant de longues secondes un bouquet de fleurs auquel le chef d’orchestre donnera une bonne tape en le posant sur son pupitre, signe qu’il n’a plus de temps à perdre avec ces futilités. Du grand Harnoncourt !

Concert très émouvant et on ne peut plus abouti au final, salué par la standing ovation quasi immédiate d’un public d’une discrétion absolue, et de surcroît magnifiquement filmé dans l’atmosphère chaleureuse et boisée de la salle du Concertgebouw dont les éclairages invitent d’emblée à se plonger dans ces soixante-sept minutes de haute spiritualité. Et si notre préférence reste au coup d’essai moins personnel mais plus brucknérien de 2004, l’expérience proposée par ce Blu-ray RCO LIVE est tout à fait unique.