14 déc. :
Eugène Onéguine à Covent Garden |
Dialogue de l’ombre double
Piotr Ilitch TchaĂŻkovski (1840-1893)
Eugène Onéguine
Simon Keenlyside (Eugène Onéguine)
Krassimira Stoyanova (Tatiana)
Thom Rackett (Onéguine jeune)
Vigdis Hentze Olsen (Tatiana jeune)
Pavol Breslik (Lenski)
Elena Maximova (Olga)
Diana Montague (Madame Larina)
Kathleen Wilkinson (Filippievna)
Peter Rose (le Prince Grémine)
Christophe Mortagne (Monsieur Triquet)
Jihoon Kim (Zaretski)
Royal Opera Chorus
Orchestra of the Royal Opera House
direction : Robin Ticciati
mise en scène : Kasper Holten
décors : Mia Stensgaard
costumes : Katrina Lindsay
éclairages : Wolfgang Göbbel
vidéo : Leo Warner (59 Productions)
préparation des chœurs : Renato Balsadonna
captation : Jonathan Haswell
Enregistrement : Royal Opera House, Covent Garden, 11 février 2013
1 Blu-ray Disc (ou DVD) Opus Arte OA BD7132 D
À l’heure où l’opéra cherche plus que jamais à se rapprocher de la crédibilité du cinéma, et où de plus en plus de spectacles sont filmés pour être commercialisés, certains choix de distribution entravent fatalement la liberté créatrice des metteurs en scène ne pouvant ignorer les nouvelles nécessités de la vraisemblance.
Ainsi, quelle qu’ait été la vision dramaturgique initiale de Kasper Holten sur l’Eugène Onéguine de Tchaïkovski, le metteur en scène danois a dû intégrer l’âge du duo principal de la production londonienne, chanteurs tous deux quinquagénaires, dans l’élaboration de son travail – on l’écoutera volontiers analyser son spectacle dans le commentaire audio proposé en bonus, une rareté dans les DVD lyriques.
Pour faire passer la pilule d’une Tatiana et d’un Onéguine aux traits marqués, clairement pas dans leur première jeunesse au gros plan, il a fallu élaborer un stratagème tenant de l’idée force : l’action se passera intégralement dans le palais impersonnel de Grémine, débutant juste avant le duo final, où une Tatiana d’âge mûr dans l’attente de son amour de jeunesse se souvient de ses premiers émois.
D’où l’artifice de doubles des deux protagonistes sous les traits de jeunes danseurs, brouillant rapidement la frontière entre rêve et réalité dans une forme de schizophrénie pas toujours limpide, d’autant que ce constat initial semble avoir anesthésié la créativité d’un Holten d’ordinaire fourmillant d’idées.
Les hautes portes de ce décor unique, un pari pour cette succession de scènes lyriques si différentes, s’ouvriront régulièrement sur des images projetées cherchant à coller à l’intrigue, ici un joli champ de blé, là une forêt rouge sang assez inesthétique, là encore les lignes d’écriture d’une Tatiana à qui le sentiment amoureux rend la plume véloce ou bien enfin une tempête de neige pour le duel.
Spectacle sage et sans vraie surprise, mais avec quelques idées originales comme ce rendez-vous où Tatiana, dans l’attente de son aimé dont elle espère des sentiments réciproques, assiste à un chœur de jeunes filles dans le même état émotionnel qu’elle, rejointes par leurs amoureux conquis par le courrier reçu, habile évocation de l’espoir ardent d’une jeune femme tout amour.
La partie musicale, à défaut d’incarnations majeures, présente un niveau honorable. Si elle n’a plus rien d’adolescent en scène, Krassimira Stoyanova a conservé une émission jeune et fraîche, toujours assez fine pour incarner une Tatiana au matériau soigné et à la très jolie demi-teinte. Dans le rôle-titre, Simon Keenlyside parvient moins bien à masquer la maturité d’un instrument qu’il doit contraindre pour prodiguer des accents juvéniles.
En comparaison, la jeunesse de Pavol Breslik sonne avec une insolence beaucoup plus naturelle, voix claire, bien conduite, expressive, vibrato de jeune homme éperdu de sentiments, Lenski d’une certaine manière immature mais dont on comprend pour une fois presque la colère et la jalousie excessives pendant le bal.
Seule native, Elena Maximova affiche une royale étoffe, déclamation idéalement élastique, graves presque maternels en Olga, face à une Diana Montague touchante de fragilité en Madame Larina et à la Filippievna toute de sagesse de Kathleen Wilkinson. On sera plus réservé sur le Prince Grémine de Peter Rose, dont la stature de menhir impressionne plus que la voix qui bouge.
Pour mener ce petit monde, le tout jeune Robin Ticciati joue la carte de la distinction, phrasés fins, cordes sveltes et moelleuses, direction sur des pointes façon accompagnement de ballet, avec un très beau climat nostalgique mais aussi un certain manque de tension. En revanche, les couleurs aristocratiques de l’Orchestre du Covent Garden demeurent celles d’un instrument de prestige faisant honneur à la plus importante scène britannique.
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