18 déc. :
Written on skin Ă Londres |
Un opéra qui restera gravé
George Benjamin (*1960)
Written on skin
Christopher Purves (The Protector)
Barbara Hannigan (Agnès)
Bejun Mehta (Angel 1 / The Boy)
Victoria Simmonds (Angel 2 / Marie)
Allan Clayton (Angel 3 / John)
Orchestra of the Royal Opera House
direction : George Benjamin
mise en scène : Katie Mitchell
décors & costumes : Vicki Mortimer
Ă©clairages : Jon Clark
captation : Margaret Williams
Enregistrement : Covent Garden, Londres, mars 2013
1 Blu-ray Disc (ou DVD) Opus Arte OA BD7136 D
À en juger par la qualité des ouvrages produits, la période médiévale est décidément une source d’inspiration bénie pour les compositeurs contemporains. Après Kajia Saariaho et son Amour de loin, le Britannique George Benjamin, né en 1960, accouche pour son deuxième opéra d’un chef-d’œuvre, avec ce Written on skin qui a connu un triomphe à sa création au Festival d’Aix-en-Provence 2012.
Avant d’être donné à l’Opéra Comique puis au Covent Garden, où il fut filmé en mars 2013 de magnifique quoique lacunaire manière (on perd beaucoup, au gros plan, de ce qui se passe en action périphérique) par Margaret Williams, au passage la seule réalisatrice ayant réussi à ce jour à nous convaincre avec des plans depuis le plafond ou le plancher de scène, forcément invisibles depuis la salle. Le Blu-ray publié par Opus Arte est d’ailleurs d’excellente qualité, belle profondeur de champ, chaleur des couleurs, et ne souffre que de minuscules saccades dans les déplacements rapides, plutôt rares il est vrai.
Cette histoire de livre enluminé commandé par un Protecteur à un jeune homme qui séduira son épouse au péril de sa vie, avant que celle-ci ne doive manger le cœur de son amant, est une adaptation d’une légende occitane ayant fait l’objet d’une mise en livret évocatrice et ouvragée de Martin Crimp, qui recourt fréquemment au style indirect pour évoquer le XIIIe siècle des troubadours et de l’amour courtois.
La mise en scène de Katie Mitchell, vue en coupe sur deux niveaux des différents lieux de l’action, faisant cohabiter monde contemporain et univers médiéval, est d’une superbe économie de moyens, contraste entre la lumière clinique de l’envers du décor, façon coulisses, laboratoire des anges, et la ferme rassurante, fabuleusement éclairée du Protecteur, et joue d’une direction d’acteurs au plus près des corps, mouvements tantôt étales tantôt fulgurants, à l’image d’une composition musicale d’un absolu raffinement.
George Benjamin, lui-même au pupitre, a fait naître une partition très ramassée (90 minutes, la durée de Wozzeck), hypnotique, dépouillée à l’extrême, d’une déclamation anglaise idéalement modulée et d’une orchestration inouïe, nappes de cordes s’insinuant dans une fusion unique avec les voix, écriture instrumentale par touches minuscules, parsemées de petite percussion et de glassharmonika, et surtout sans les xylo- et vibraphones devenus en quelques années le cliché le plus désespérant de la musique contemporaine. Un tissu orchestral traversé également de pics de tension d’autant plus forts qu’ils sont rares. On pense immanquablement au dernier Britten, ce qui n’est pas le moindre des compliments.
Distribution exemplaire, du Protecteur de Christopher Purves, autoritaire et soupçonneux mais loyal et jamais caricatural, à l’extraordinaire duo Barbara Hannigan-Bejun Mehta, elle méconnaissable pour qui l’a découverte dans la Lulu de Warlikowski, chant millimétré, émission constamment à fleur de peau, Agnès tout en contrastes fulgurants, lui faisant l’usage le plus expressif de la voix de contre-ténor, Garçon d’une matière riche et moirée, à l’opposé des angelots blanchâtres, tous deux délivrant de sublimes sons sans vibrato émergeant lentement de l’orchestre. La porte d’entrée idéale vers l’opéra contemporain, qu’on disait mort, et qui prouve ici qu’il a encore de belles années devant lui.
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