4 déc. :
In Memoriam Claudio Abbado |
Un bouleversant hommage
Memorial concert for Claudio Abbado
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie n° 8 en si mineur « Inachevée »
I. Allegro moderato
Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon « à la mémoire d’un ange »
Isabelle Faust, violon
Friedrich Hölderlin (1770-1843)
Wein und Brot
Bruno Ganz, récitant
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 3 en ré mineur
VI. Adagio
Lucerne Festival Orchestra
direction : Andris Nelsons
captation : Paul Smaczny
Enregistrement : KKL, Lucerne, 6 avril 2014
1 Blu-ray (ou DVD) Accentus Music ACC 10319
Le 20 janvier 2014 dans la matinée, le monde musical pleurait la disparition, six mois avant son quatre-vingt-unième anniversaire, de Claudio Abbado, maestro assoluto du début de ce siècle, dont les concerts chaque été à Lucerne, au bord du Lac des Quatre Cantons, à la tête de l’orchestre qu’il avait refondé en 2003, tenaient du rituel pour les amateurs de musique symphonique venus des quatre coins du monde.
À l’annonce de sa mort, c’est l’existence même du Lucerne Festival Orchestra qui était remise en question, ses musiciens étant tous plus ou mois des fidèles du maestro, réunis autour de lui pour jouer avec lui le grand répertoire symphonique. Mais avant le temps des choix, des décisions, l’heure était d’abord au recueillement, à l’hommage. Fin 2013, alors qu’il n’avait pas repris la baguette depuis le 26 août, Abbado, rattrapé pour de bon par la maladie, avait dû céder la place à Andris Nelsons pour une tournée du LFO.
Le festival de Lucerne a donc tout naturellement pensé au chef letton pour le concert hommage prévu pendant le festival de Pâques, le 6 avril 2014. Une manifestation à laquelle les fervents mélomanes se sont rendus le cœur lourd, et qui est l’objet de ce DVD. Un témoignage vidéo tenant à la fois du documentaire et du concert, où l’on pourra reprocher à son réalisateur d’avoir imbriqué les deux genres au point de laisser commencer certaines pièces alors même que des musiciens évoquent la mémoire du chef d’orchestre.
C’est bien la seule réserve que l’on émettra sur cet objet précieux, s’ouvrant sur un extrait de l’avant-dernier concert d’Abbado, celui des 17 et 18 août 2013, une semaine avant la fameuse Neuvième de Bruckner parue en CD depuis, où le Milanais dirigeait l’Héroïque de Beethoven, dont on entendra ici le passage central en majeur de la Marche funèbre – le concert entier est par ailleurs disponible en vidéo, également chez Accentus Music.
Un extrait distillant un mélange de sérénité teintée de doute, d’une pointe d’inquiétude, précédant l’exécution, en ouverture du concert hommage, du premier mouvement de la Symphonie inachevée de Schubert, la même donnée lors du dernier concert du maestro évoqué plus haut, en première partie de Bruckner, interprétée ici sans chef, après que l’altiste Wolfram Christ a expliqué que si Abbado n’était plus là physiquement, son esprit demeure.
On reste tétanisé face à ce podium vide, devant ces musiciens jouant dans le souvenir de la manière du chef italien, tempi tranquilles, première entrée des violoncelles et contrebasses aux frontières du silence, douceur infinie de la pâte sonore, transitions soignées, son clair, transparent, lyrisme doux, lumière feutrée et intensité tout intérieure. Le comédien suisse Bruno Ganz, ami proche du défunt, déclame ensuite avec une retenue extrême le long Brot und Wein de Hölderlin, belle synthèse de toutes les préoccupations du chef d’orchestre, au premier rang desquels la notion grecque d’équilibre.
La défense de la Seconde École de Vienne subsiste également à travers le Concerto à la mémoire d’un ange, défendu par une Isabelle Faust très engagée, sur un orchestre plus fourni et dense, plus dramatique sous la houlette de Nelsons que dans son enregistrement chambriste pour Harmonia Mundi avec son mentor. Crescendo émotionnel tout indiqué, les scènes de recueillement populaire suivant l’annonce de la mort d’Abbado dans sa ville de Bologne, puis à Milan sur la place de la Scala noire de monde pour écouter en aveugle, à travers les portes ouvertes du théâtre, la Marche funèbre de l’Héroïque jouée avec une absolue gravité par un Daniel Barenboïm à son meilleur.
Clou de cet hommage, l’Adagio final de la Troisième Symphonie de Mahler, immense moment de deuil collectif, filmé avec une pudeur très bienvenue, devant ces musiciens les yeux pleins de larmes pendant la musique mais aussi après le long silence alla Abbado précédant les applaudissements, signe d’une page définitivement tournée. Nelsons, la gestique physique, le corps en transe, est tout l’opposé des discrètes volutes de son prédécesseur, dans ce Mahler étreignant, brûlant, nuances exacerbées et hymne à la vie, lyrisme bouleversants.
Un DVD à regarder les yeux embués, pleins du souvenir du petit maestro fragile dont l’aura émanait la quintessence même de la musique, transmise avec douceur et sérénité à une génération de musiciens qui ne l’oublieront jamais.
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