7 déc. :
Chailly dirige la Neuvième de Mahler |
La vie continue
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 9 en ré majeur
Gewandhausorchester Leipzig
direction : Riccardo Chailly
Enregistrement : Gewandhaus, Leipzig, 6-8 septembre 2013
1 Blu-ray (ou DVD) Accentus Music
Pour Riccardo Chailly, le temps est venu de mettre un coup d’arrêt à des exécutions mahlériennes toujours plus amples, toujours plus lentes, et de repartir d’éléments objectifs de la partition, et d’une contextualisation moins romanesque des symphonies. D’où un refus patent de transformer la Neuvième en requiem écrit dans le sentiment d’une mort approchante.
Pour le chef italien, l’ultime ouvrage achevé par Mahler est au contraire un hymne à la vie d’où ressurgissent nombre de sentiments enfouis depuis des années, mais certainement pas que tristesse inconsolable, désespoir sans remède et morbidité latente. Au niveau sonore, cela se traduit par une pâte concrète, nette, avec l’appui d’un Gewandhausorchester Leipzig ayant conservé les influences de l’époque de la RDA, quand les formations du bloc de l’Est tendaient à se rapprocher du tranchant et de la sveltesse des orchestres tchèques voisins.
On y gagne incontestablement une clarté polyphonique, un tranchant vertical éclairant les méandres d’une partition extrêmement dense apparaissant alors dans toute sa logique compositionnelle. Par ailleurs, Chailly recourt à un rubato minimal, gardant en ligne de mire pendant tout le premier mouvement la mesure à quatre temps et une régularité de marche qui ne vire jamais à la raideur.
Les timbres coupants des cuivres, une certaine souplesse dans la régularité métrique et l’éclairage polyphonique tendent donc à modifier le climat souvent funèbre de l’œuvre, moins uniment tourmentée, plus ambiguë, constellée de larges plages entre sérénité et doute, loin de tout décor purement enténébré. Et avec des timbres magnifiques, comme cette flûte opalescente, presque droite, calmant les angoisses d’une harmonie tendant vers le chromatisme.
La mécanique orchestrale du Ländler, vif, toujours à l’affut de la relance du tempo, fonctionne à plein, avec un Tempo II propulsé par la battue à un temps, et les chocs de timbres des cuivres bouchés cognant contre les assauts d’un timbalier implacable. Des qualités qu’on retrouve dans la rythmique infernale du Rondo-Burleske, où le passage central aux teintes célestes affiche la trompette la plus immatérielle qu’on ait entendue dans ce court moment de répit.
Cette conception plus positive, fêtant un esprit créateur au faîte de son génie, des projets plein la tête et certainement pas dans l’attente de la mort, tendrait également à amoindrir le rôle de l’Adagio final, vaste plage mélancolique ici teintée d’espoir, et plus portée sur la sérénité que sur la résignation. Chailly ne lâche d’ailleurs les rênes du soutien du tempo que dans l’Adagissimo terminal, très apaisé, ouvrant sur un ailleurs, prouvant que la vie continue. Une exploration d’une parfaite cohérence, extrêmement convaincante y compris pour qui aime son Mahler maniaco-dépressif au bord du gouffre.
Deux bonus très intéressants d’un petit quart d’heure chacun proposent de prolonger la réflexion. Tout d’abord en une discussion entre le chef italien et le plus grand spécialiste du compositeur, le musicologue Henry-Louis de La Grange, qui s’interrogent tous deux sur les multiples annotations de Mengelberg sur la première page de la partition, et notamment sur l’évocation par le chef néerlandais d’un glas ouvrant la symphonie.
Chailly démontre ensuite à quel point la Dixième reprend exactement où la Neuvième s’était arrêtée, via le pupitre d’altos qui clôt cette dernière avant d’ouvrir la suivante, et justifie son retour à des tempi plus véloces dans Mahler, après avoir écouté le compositeur lui-même jouant en 1905 sur le piano mécanique Welte-Mignon le Finale de sa Quatrième Symphonie, avec une durée exactement similaire à celle de Bruno Walter quarante années plus tard en concert à New York.
Le second documentaire s’ouvre sur les épais nuages couvrant la cime des sapins du Sud-Tyrol de Toblach (aujourd’hui Dobbiaco dans les Dolomites italiennes), où Mahler passa les trois derniers étés de sa vie à composer, dans une minuscule cabane. Chailly y rappelle la filiation mahlérienne du Gewandhaus de Leipzig, avant d’évoquer l’importance capitale de la Neuvième pour Alban Berg.
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