16 déc. :
Claude à l'Opéra de Lyon |
L’effroyable machine pénitentiaire
Thierry Escaich (*1965)
Claude
Jean-SĂ©bastien Bou (Claude)
Jean-Philippe Lafont (Le Directeur)
Rodrigo Ferreira (Albin)
Laurent Alvaro (le Surveillant général)
RĂ©my Mathieu (Premier surveillant)
Philip Sheffield (Deuxième surveillant)
Maîtrise, Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
direction : Jérémie Rhorer
mise en scène : Olivier Py
décors & costumes : Pierre-André Weitz
Ă©clairages : Bertrand Killy
préparation des chœurs : Alan Woodbridge
captation : Vincent Massip
Enregistrement : Opéra national, Lyon, avril 2013
1 DVD BelAir Classiques BAC118
En avril 2013, point culminant d’un festival de printemps de l’Opéra de Lyon consacré à la thématique Justice-Injustice, l’opéra Claude de Thierry Escaich, sur un livret de Robert Badinter, artisan de l’abolition de la peine de mort en France, librement inspiré du Claude Gueux de Victor Hugo, était donné en création mondiale.
Un choc en salle, grâce aussi à la mise en scène suffocante, d’une rare violence (les passages à tabac, les maquillages donnant des airs aliénés aux prisonniers), d’un Olivier Py inspiré comme rarement ces dernières saisons, et à une équipe musicale soudée autour de la direction de Jérémie Rhorer, expert dans l’art de sublimer la richesse d’une orchestration très symphonique, sans les cohortes de claviers si clichés de la musique contemporaine, et portant une très belle distribution, au français correct sinon impeccable.
Restait à savoir si cet événement lyrique très fort, quelque part entre Wozzeck, De la maison des morts et les Soldats, allait conserver sa puissance face à la captation du spectacle. La réponse est oui, grâce à la réalisation magistrale de Vincent Massip, qui filme au plus près les corps et une direction d’acteurs très physique, sans le léger effet d’agitation frôlant le too much qu’on pouvait avoir en salle. De même, au micro, le contre-ténor filiforme de Rodrigo Ferreira n’est plus amoindri par une projection défaillante, et impose un personnage plus touchant encore qu’en salle.
C’est aussi que l’énorme machinerie pénitentiaire actionnée par les détenus fait toujours son effet, bloc pivotant alignant des cellules éclairées au néon plus sordides les unes que les autres, tout comme la scène finale, sans la décollation du livret, mais avec ce condamné à mort mangeant seul son pain, dernier élément qui le rattachait au monde des vivants, et à son amour carcéral Albin, devant une ballerine faisant des pointes, image d’un monde frivole si avide d’art-divertissement, proprement indécent au vu des enjeux humains se jouant devant nos yeux.
D’une présence quasi animale, Jean-Sébastien Bou porte le rôle-titre de tout son corps, avec un engagement forcené, face au Directeur heureux dans la seule vindicte et le seul sadisme de Jean-Philippe Lafont. Tous sont portés à bout de bras par la fosse, d’où émerge un langage n’ayant pas peur des influences, de la litanie accompagnant les chœurs aux pics de violence quasi insoutenable des scènes de foule, en passant par des atmosphères raréfiées guère moins tendues, comme cet ultime morendo arachnéen qui vous glace d’effroi.
Un entretien du compositeur et du librettiste avec Anne Sinclair est proposé en bonus, pour ceux qui parviendront à activer cette fonction sur leur lecteur de salon, notre exemplaire du DVD rechignant à lancer l’interview en question, que nous ne sommes parvenus à lire in fine, et après plusieurs essais, que sur un PC et via Windows Media Player, même VLC n’ayant pas réussi à en faire façon.
Dans ce supplément de vingt-cinq minutes, Robert Badinter précise qu’écrire ce livret était pour lui l’occasion de se confronter à une véritable tragédie plus que de se lancer dans une nouvelle plaidoirie, expliquant avec d’exquises manières d’homme cultivé, au raffinement d’une autre époque, que Claude Gueux est selon lui « un révolté, un aristocrate de la classe ouvrière, qui n’acceptera jamais l’injustice et l’arbitraire ».
Donc l’être humain le plus dangereux du monde pour le directeur de la prison, un rôle qu’il assume d’avoir considérablement durci par rapport au roman de Victor Hugo. Et de préciser que la relation homosexuelle entre Albin et Claude lui a été révélée par la lecture des archives de la centrale de Clairvaux. Un lieu sinistre entre tous dont la visite a inspiré à Thierry Escaich l’atmosphère glauque et monstrueuse du chœur introductif.
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