17 déc. :
Fierrabras Ă Salzbourg |
Un superbe livre d’images
Franz Schubert (1797-1828)
Fierrabras
Georg Zeppenfeld (König Karl)
Julia Kleiter (Emma)
Markus Werba (Roland)
Franz Gruber (Ogier)
Benjamin Bernheim (Eginhard)
Peter Kálmán (Boland)
Michael Schade (Fierrabras)
Dorothea Röschmann (Florinda)
Marie-Claude Chappuis (Maragond)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Ingo Metzmacher
mise en scène : Peter Stein
décors : Ferdinand Wögerbauer
costumes : Annamaria Heinreich
Ă©clairages : Joachim Barth
préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger
captation : Peter Schönhofer
Enregistrement : Haus für Mozart, Salzbourg, août 2014
1 Blu-ray Disc (ou DVD) C Major 730804
Les opéras de Schubert, c’est le mois que l’on puisse dire, n’ont jamais eu la cote, et hormis outre-Rhin, où il est toujours quelques audacieux pour rappeler au public que le maître du Lied a produit pas moins de neuf ouvrages lyriques complets (et cinq inachevés), on les cherchera en vain dans les grandes institutions européennes ou américaines.
Fierrabras qui nous intéresse ici, ultime opéra du compositeur, est sans doute la seule exception, l’Opéra de Zurich ayant déjà programmé l’œuvre en 2006 dans une mise en scène de Claus Guth vue ensuite à Paris, au Théâtre du Châtelet, et le disque ayant conservé une trace de la version de Claudio Abbado donnée live aux Wiener Festwochen 1988.
À l’origine de la production zurichoise, psychanalytique et guère évidente à décrypter pour qui connaît mal l’ouvrage, soit une majorité des spectateurs, le nouvel intendant de Salzbourg Alexander Pereira choisissait en 2014, pour l’entrée au répertoire de Fierrabras au festival, de remettre l’ouvrage sur le métier dans une optique lisible et limpide, et de faire appel à un metteur en scène maître en la matière.
Pour raconter cette histoire d’amour(s) contrarié(es) sur fond de guerre entre Chrétienté et Islam, le vétéran Peter Stein a fait le choix d’une mise en scène historique et littérale parfaitement assumée, cherchant à reproduire avec un réel succès le type de tableaux vivants que l’on pouvait voir du temps de Schubert, avec une pincée de stylisation, si bien que jamais on n’a l’impression d’un travail poussiéreux ou démodé.
Ce faisant, il admet dans le court making of proposé en bonus n’avoir pas facilité la tâche à son décorateur, les techniques de tissus en trompe l’œil ayant totalement disparu des ateliers fournissant les scénographies des salles contemporaines. Pour classique qu’il soit, le résultat est pourtant bluffant de poésie façon livre d’images, grâce notamment aux éclairages de Joachim Barth qui créent à eux seuls une dramaturgie (la scène du cachot et de la tour), et permet en outre de démêler l’écheveau d’une intrigue à la base assez emberlificotée.
Véritable plaisir pour l’œil, le visionnage restitue en outre la sensation vécue in loco d’une réussite totale au niveau musical, d’abord grâce à des Wiener prodigieux et à la direction d’Ingo Metzmacher, dont la vigueur toujours au service d’une pâte sonore idéalement allégée et l’énergie dramatique basée sur beaucoup d’attaques et peu d’entretien du son permettent, en plus de garantir une excellente synchronisation avec le plateau, de ne jamais couvrir ce dernier (Eschenbach eût été avisé d’en prendre de la graine pour le Don Giovanni donné en alternance dans la même Haus für Mozart).
Cerise sur le gâteau, la distribution étincelle de bout en bout, sans doute la plus glorieuse entendue dans la ville de Mozart depuis une décennie, renvoyant l’équipe vocale en dents de scie de Welser-Möst à Zurich (DVD EMI) et même celle d’Abbado (CD DG), à leurs faiblesses respectives. Dans ce domaine, ce Blu-ray enfonce le clou, alignant des prestations taillées à merveille pour chaque rôle.
Noblesse incarnée, Georg Zeppenfeld est l’autorité tranquille même en Charlemagne, auquel tient tête, et de quelle manière, l’Eginhard du jeune Benjamin Bernheim, graine de Roberto Alagna, voix brillante et souple, capable de l’éclat le plus tranchant comme de la demi-teinte la plus ineffable. Le duo qu’il forme avec l’Emma de Julia Kleiter, sorte de soprano blond mozartien, tout de pureté virginale et d’aigu radieux, vaut des instants de grâce à se damner. Quant à Markus Werba, on ne l’a jamais entendu aussi rayonnant qu’en Roland, émission franche, parfaitement homogène et belles réserves de puissance.
Face aux Chrétiens, le trio des Maures, aux particularités de timbre bien exploitées, offre un contrepoids gommant légèrement l’ethnocentrisme typique du livret, entre le Fierrabras fiévreux, prêt à imploser de Michael Schade, le Boland au vilain timbre parfaitement utilisé de Peter Kálmán et la géniale Florinda de Dorothea Röschmann, éperdue d’amour, brûlante de liberté, vibrato de tragédienne et engagement total.
Au final, une production exemplaire jusque dans les moindres détails, comme on n’en voit plus guère à l’opéra, y compris dans une optique scénique traditionnelle, et à laquelle la captation somptueuse de Peter Schönhofer, retranscrivant à merveille la profondeur de champ du décor et l’onirisme des éclairages, finit d’apporter un caractère d’incontournable de toute dvdthèque !
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