Dorati, l’empoignade sanguine
Si sept CD sont consacrés au chef français, Antal Dorati occupe pas moins de vingt disques, qui à l’écoute rapprochée ont bien une énergie de direct justifiant le qualificatif Living Presence du label, et rappelle à quel point le Hongrois reste l’un des meilleurs chefs de l’histoire du disque, que ce soit ici à la tête du London Symphony ou à plus forte raison de l’Orchestre de Minneapolis, ce dernier finalement plus typique encore du son Mercury, et quelque part dans une esthétique plus proche des enregistrements Paray, avec ce même tranchant vertical des accords, cette même pâte sonore finement musculeuse, ces mêmes attaques à la pointe sèche.
On retrouvera donc ici autant de gravures légendaires, au premier rang desquels les quatre symphonies de Tchaïkovski qui manquaient encore : une Cinquième relativement classique, très économe en électricité d’abord, pour mieux imploser à la fin, et une trilogie de premières symphonies donnant tout simplement envie de se débarrasser de toutes les autres versions, à l’exception de Markevitch LSO, tant on a affaire à des lectures modèles et définitives, respirant avec un naturel fou et une vie intérieure de chaque instant.
Le bouillant Hongrois sera tout aussi brillant dans des Richard Strauss survoltés, diablement efficaces, et avec une image sonore jamais grasse, d’une énergie parfois brute de décoffrage, notamment dans un Till grinçant jusqu’au sadisme et un Don Juan d’un élan continu, mais aussi dans des Wagner plus musclés que ceux de Paray. Quant au CD d’ouvertures italiennes, il confirme encore notre légère préférence globale pour les enregistrements Minneapolis (des Rossini millimétrés), plus lestes que des Verdi londoniens traînant parfois un peu.
Les pièces de caractère et autres poèmes symphoniques sont lus également avec une poigne de fer (Capriccio espagnol de Rimski, plein de ruades de percussion, de tutti fracassants), mais aussi parfois avec une poésie inattendue (une Valse triste prenant son temps, une Moldau contemplative frôlant les quatorze minutes, une Shéhérazade limpide, captivante comme un conte des Mille et une nuits, aux couleurs nocturnes envoûtantes).
Quant aux Brahms avec le LSO, ils rappelleraient, en plus sanguins, les Schumann de Paray : phrasés courts, clarté polyphonique totale, sens de la pulsation loin de tout romantisme asthmatique et brumeux, d’une tension dans les coups d’archet qui donne une nouvelle jeunesse à ces pages souvent confisquées par des lecteurs neurasthéniques.
Quelques inédits
Restent par ailleurs, preuve de la magie de Noël qui approche, cinq disques Dorati inédits au CD, dans une somptueuse mono, dont des Respighi de premier choix (les rarissimes et passionnants Vitraux d’église, les Fêtes romaines), des Variations concertantes de Ginastera pointillistes, d’une impressionnante qualité de staccato, une belle Troisième Symphonie de Copland, la première version de l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski (le Capriccio italien est quant à lui exactement la même bande que celle du volume 1, mais en mono) au moins aussi déjantée que l’enregistrement stéréo bien connu, mais aussi une Héroïque de Beethoven à Minneapolis très moderne, longueur d’archet minimale, en ruptures nettes et accords abrupts, ainsi qu’un nouveau remastering des Quatre Suites de Tchaïkovski avec le Philharmonia (1966), monument de gourmandise.
Cette dernière fournée inclut aussi les quelques sessions assurées par Stanislaw Skrowaczewski, dans une Symphonie Italienne superbement propulsée, bien plus réactive que les Mendelssohn assez ternes de Dorati (Symphonie Écossaise, Hébrides), ses seules faiblesses du lot, ainsi que trois symphonies de Schubert (5, 8 et 9) équilibrées, verticales et chantantes à la fois, complétées par une non moins intéressante Sixième par Hans Schmidt-Isserstedt.
En sus des disques plus ou moins hors classique déjà évoqués, dirigés par Federick Fennell ou Howard Hanson (en tout 10 CD), on trouvera enfin, en queue de coffret, quelques enregistrements mythiques réalisés par l’équipe Mercury mais publiés initialement chez Philips, comme les concertos de Liszt par Richter-Kondrachine, les sonates de Beethoven par Rostropovitch-Richter, le CD de mélodies russes (Moussorgski, Tchaïkovski, Prokofiev) de Vichnevskaïa-Rostro, ainsi que les premiers Chostakovitch (Quatuor n° 4 et 8) des Borodine, jamais parus sur support digital.
Et à moins qu’il ne s’agisse d’une remasterisation différente, ce qui ne saute vraiment pas aux oreilles, on trouvera dans ce volume 3 un doublon, le CD Berlioz de Paray, déjà présent dans le volume 1. Le tout dans les prises de son d’orchestre les plus célébrées de l’histoire du disque classique, donnant à chaque instant l’impression d’être au concert, à la place du chef, avec un relief instrumental inégalé. Absolument incontournable (surtout vu le prix pratiqué actuellement par une grande enseigne Internet transalpine...) !
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