19 déc. :
Beethoven par le Quatuor Belcea |
La preuve par seize
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
The Complete String Quartets
Quatuor Belcea
captation : Frédéric Delesques
Enregistrement live : Konzerthaus, Vienne, mai 2012
+ documentaire Looking for Beethoven (de Jean-Claude Mocik)
4 Blu-ray Discs (ou DVD) EuroArts Unitel Classica 2072664
Le Saint Graal, c’est ainsi qu’Antoine Lederlin, violoncelliste du Quatuor Belcea, se représente le massif des seize quatuors à cordes de Beethoven, ainsi qu’il le déclare dans le documentaire Looking for Beethoven accompagnant cette intégrale des quatuors en vidéos, filmée pendant une série de douze concerts en mai 2012 dans la salle Mozart du Konzerthaus de Vienne, non loin du célébrissime Musikverein.
Dans ce carnet de route de quarante-sept minutes, stylistiquement à la croisée des chemins, entre le témoignage à chaud en sortant de scène, l’observation de la vie quotidienne d’un groupe musical en tournée, mélangé à des images de Vienne aux cadrages compulsifs pas franchement utiles, on retiendra surtout la spécificité de ce quatuor formé d’instrumentistes d’horizons très divers.
Fondé autour de la rencontre de son premier violon Corina Belcea avec l’altiste Krzysztof Chorzelski à Londres au début des années 1990, juste après qu’il ont pu profiter de l’ouverture du rideau de fer pour quitter respectivement leur Roumanie et leur Pologne natales pour aller se perfectionner à l’étranger, le Quatuor Belcea est le symbole même de l’Europe musicale née de l’abandon progressif des frontières.
Pour preuve les nationalités différentes de chacun de ses membres, les deux fondateurs s’étant entourés depuis leurs débuts en 1994 du violon II du Franco-Suisse Axel Schacher (qui a pris la relève de Laura Samuel), et du Français Antoine Lederlin cité plus haut (remplaçant Matthew Talty, lui-même succédant à Alasdair Tait), soit autant de parcours mais aussi de langues natales et donc d’approches du travail musical extrêmement différentes.
Arrivé à maturité après vingt ans d’existence, donnant une centaine de concerts par an, le Quatuor Belcea s’est donc imposé le défi d’un marathon Beethoven, que Frédéric Delesques a réussi à filmer de manière vivante, un exploit quand on sait à quel point donner de la diversité à la captation vidéo de quatre instrumentistes identiques jouant pendant neuf heures dans la même salle n’est pas donné à n’importe qui.
Réussie sur la forme, cette intégrale vidéo l’est aussi sur le fond, avec une interprétation beethovénienne tout à fait satisfaisante, d’une grande musicalité d’un bout à l’autre, d’une expressivité souvent feutrée, où la finesse l’emporte sur les éclats, avec ce son assez typique du premier violon dans les petites nuances, légèrement chuintant, chantant avec un petit vibrato lumineux, qui sait se fondre avec un violoncelle extraordinairement caméléon.
Quelques moments particulièrement magiques : le mouvement lent du Premier Quatuor, au magnifique lyrisme jamais larmoyant, la rythmique si affutée du mouvement liminaire du Sixième et l’introduction lente de son Finale, d’une très belle tension, chaque pupitre dans l’attente de ses voisins, et d’un contrôle du vibrato épatant.
Mais aussi l’intimisme des Quatuors Razoumovski, d’emblée un autre univers, et dans des tempi jamais statiques et des silences en partie intégrante du langage musical, notamment dans un Molto adagio de l’Op. 59 n° 2 ne quittant jamais l’horizon du regard, ou encore un détaché d’une finesse extraordinaire dans le fugato final de l’Op. 59 n° 3, une Grande Fugue au tempo très soutenu et le Chant de reconnaissance du Quatuor n° 15, presque droit, tel un cantique des temps anciens.
S’ils ne sont pas forcément fanatiques des coups de boutoir (le Quartetto Serioso manquerait presque de verticalité), les Belcea n’en savent pas moins asséner de vigoureux sforzandi à chaque endroit où ils ont le plus d’impact, dosant avec un goût certain les accents les plus crus, dans une optique plutôt horizontale, où chaque gamme staccato prend un véritable relief, notamment grâce à un alto magnifique de grain, un véritable plus dans une formation à seize cordes comme celle-ci.
Un parcours en tout cas passionnant, du classicisme façon Haydn aux abîmes d’incertitude tonale des derniers opus, avec comme point culminant la redoutable Grande Fugue qui demeure un véritable tour de force. Notons d’ailleurs que cette intégrale (éditée également au CD chez Zig-Zag Territoires) propose deux exécutions du Quatuor n° 13, la première avec le Finale de remplacement, la deuxième avec la Grande Fugue prévue au départ par le compositeur.
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