21 déc. :
Paul Dukas et le prix de Rome |
Dukas Ă la Villa MĂ©dicis
Palazzetto Bru Zane
Collection Prix de Rome volume 5
Paul Dukas (1865-1935)
Les Sirènes, la Fête des myrtes, Sémélé, Pensée des morts, Hymne au soleil, l’Ondine et le Pêcheur, Velléda, Polyeucte, Villanelle pour cor et orchestre
Flemish Radio Choir
Brussels Philharmonic
direction : Hervé Niquet
Enregistrement : Salle Flagey, Bruxelles, 2014-2015
1 Livre (+ 2 CD) Edicions Singulares Palazzetto Bru Zane
Un petit voyage hors des sentiers battus pour changer un peu des gros coffrets, dont l’avalanche n’est pas terminée en ce début d’hiver pourtant plus que doux. C’est dans la lagune vénitienne que progresse actuellement la recherche musicologique dévolue au romantisme français, depuis que la Fondation Bru y a installé le Centre de musique romantique française, dans un palazzetto tout proche de la basilique des Frari.
En plus de la recherche, de la pédagogie et de la programmation de concerts, le Palazzetto Bru Zane s’est lancé dans l’édition de partitions et la publication de livres-disques consacrés aux ouvrages rares de la période concernée (1780-1920), notamment aux opéras français oubliés, parmi lesquels on peut déjà trouver une dizaine d’ouvrages célébrés en leur temps, comme les Barbares de Saint-Saëns, l’Herculanum de Félicien David, le Dimitri de Victorien Joncières ou encore le Renaud d’Antonio Sacchini.
En parallèle, une collection tournant autour du prix de Rome vient de s’attaquer, après Debussy, Saint-Saëns, Charpentier et D’Ollone, à Paul Dukas, l’un des maîtres français du XXe siècle qui par une extrême exigence a détruit la plupart de ses partitions, les œuvres rescapées étant toutes d’extrême qualité.
Par chance, les pièces écrites par le jeune compositeur tout juste âgé de vingt ans lors de ses séjours à la Villa Médicis ont échappé aux flammes et sont regroupées dans cette publication extrêmement soignée, livre au beau papier granuleux, couverture très épaisse ornée de motifs végétaux en relief et appareil critique exemplaire. Seuls les rabats en carton où sont rangés les deux CD ne paraissent pas idéaux pour conserver les disques sur le long terme sans les rayer.
Héros malheureux du prix de Rome comme Debussy avant lui, Dukas y a tenté sa chance quatre années successives, dans les genres alors imposés du chœur avec accompagnement d’orchestre et de la cantate, qui venait passer de deux à trois personnages afin de tester l’habileté des compositeurs à gérer des situations dramatiques plus complexes.
Étalés de 1886 à 1889, les chœurs font découvrir quelques belles pages, au premier rang desquelles Pensée des morts, sur un texte de Lamartine, ou les Sirènes, plus inspirés que la très académique Fête des myrtes ou qu’un Hymne au soleil assez convenu, dans lesquels l’écriture vocale apparaît relativement tendue.
Le cœur de ce volume 5 reste les deux cantates de 1888 et 1889, sur les sujets de Velléda et Sémélé, la première dans une veine élégiaque, la seconde en une intense scène dramatique où plane partout l’ombre de Wagner (et notamment du royaume de Klingsor). Dukas s’y montre comme dans ses ouvrages tardifs un extraordinaire orchestrateur, un maître absolu de la couleur instrumentale, habile en une texture d’accords à peindre une situation, à créer un état d’âme avec un raffinement typiquement français.
Pour compléter ce panorama romain ont été ajoutées quelques pièces soit plus anciennes (la magnifique mélodie l’Ondine et le Pêcheur) soit plus récentes, comme l’ouverture remarquablement wagnérienne de Polyeucte ou encore la Villanelle pour cor et orchestre, dans une veine straussienne.
Le choix des œuvres données à entendre ne souffre donc aucune réserve, pas plus que l’objet livre-disque en lui-même. En revanche, si la qualité stupéfiante du Brussels Philharmonic très bien tenu par Hervé Niquet est une source constante d’émerveillement, on n’en dira pas tant de choix vocaux la plupart du temps déficients, qui font chuter la note de cette parution promise à une meilleure récompense.
Sur le sujet, hormis Velléda, où l’Eudore merveilleusement équilibré et intelligible du ténor Frédéric Antoun répond à Marianne Fiset et au Ségenax idéalement cruel d’Andrew Foster-Williams, ainsi que l’Ondine, défendue par une Chantal Santon-Jeffery tout en finesse et en limpidité, les choix vocaux ont été opérés presque toujours au détriment de la compréhension du texte.
Pour preuve, des chœurs de femmes (Radio flamande) hétérogènes, trop vibrés et aux voyelles indistinctes, et une Sémélé où l’on ne comptera que sur l’orchestre pour comprendre un traître mot de ce qui se passe – si le rôle-titre de Catherine Hunold laisse passer une belle fragilité à défaut d’une déclamation constamment évidente, la Junon de Kate Aldrich, aux prises d’air peu phonogéniques, a tout d’une voix à problèmes en devenir (émission qui bouge, timbre ingrat et écrasé, français épouvantable, transformant par exemple « Junon » en « genou »).
Il est jusqu’au ténor pourtant natif de Cyrille Dubois d’apparaître étrangement maniéré, et au mezzo épais de Marie Kalinine de troubler le bonheur d’écouter ces pages rares, où l’on aurait souhaité pouvoir goûter chaque mot plutôt que des prestations vocales cherchant le son avant le sens. Triste syndrome quasi généralisé à notre époque, et qu’on pensait éviter sous la direction d’un chef francophone à qui l’on sait gré toutefois d’avoir permis l’exhumation d’œuvres d’une telle qualité.
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