22 déc. :
Markevitch - ICON |
Igor Markevitch, les enregistrements HMV
Igor Markevitch
The Complete HMV Recordings
Bach, Bartók, Berlioz, Borodine, Brahms, Britten, Busoni, Dallapiccola, Debussy, De Falla, Dukas, Chabrier, Chostakovitch, Glinka, Haendel, Haydn, Liadov, Liszt, Markevitch, Mendelssohn, Moussorgski, Mozart, Offenbach, Prokofiev, Ravel, Rossini, Saint-Saëns, Satie, Schubert, Sibelius, R. Strauss, Stravinski, Tchaïkovski, Tommasini, Verdi, Weber.
Philharmonia Orchestra, Orchestre de la Radiodiffusion Française, Orchestre Lamoureux, Orchestre de Paris, Orchestre national de Belgique, Orchestra dell’Accademia nationale di Santa Cecilia di Roma
direction : Igor Markevitch
Enregistrements : 1938-1969
18 CD Erato ICON 0825646154937
La collection ICON de feu EMI, aujourd’hui Warner-Erato, ne cesse de s’enrichir au fil des mois, dans des coffrets monographiques ressortant les fleurons de l’ancien catalogue His Master’s Voice, sans s’astreindre forcément à l’exhaustivité, optant tantôt pour un portrait de l’artiste à travers certains de ses enregistrements les plus typiques, tantôt pour la totalité de son legs pour le label anglais.
C’est le cas de cette boîte Erato consacrée à Igor Markevitch (1912-1983), chef fondamental du siècle dernier, touche-à -tout de génie, compositeur, chef d’orchestre et pédagogue recherché, qu’Hermann Scherchen aimait à appeler « mon orchidée empoisonnée », ce qui dit assez la singularité et le tempérament explosif d’un artiste exigeant jusqu’à l’épuisement, d’une érudition phénoménale et éminemment respecté, sinon véritablement aimé, par les musiciens d’orchestre auxquels il donnait du fil à retordre.
Ce coffret couvre pour l’essentiel la première moitié des années 1950, les plus fertiles du chef face aux micros d’EMI, le plus souvent dans une mono excellente et à la tête de deux orchestres, le Philharmonia et l’Orchestre de la Radiodiffusion Française, ancien nom de l’Orchestre national de France, et leurs salles respectives, le studio n° 1 d’Abbey Road à Londres, et la salle de la Mutualité à Paris.
Il est permis de préférer les séances londoniennes par la simple présence du Philharmonia, l’un des tout meilleurs orchestres européens d’alors, plutôt qu’un ORF évidemment moins somptueux mais ici toujours précis de timbres et loin du laisser-aller qu’on associe souvent aux formations hexagonales d’alors, grâce à une main de fer, l’une des constantes de Markevitch.
Un style de direction carré, dans la veine toscaninienne, en arêtes vives et accords tranchants, fuyant tout sentimentalisme avec une pugnacité rythmique constante et une énergie parfois brute de décoffrage, si éloignée du consensus mou de notre époque. La ferveur, la conviction du chef franco-russe font des miracles en tout premier lieu dans Stravinski, et dans ce mythique Sacre du printemps de 1959, l’un des plus sauvages et abrupts que l’on connaisse, d’une férocité implacable, face à laquelle la première version mono (1951), présente sur le même CD, n’apparaît que comme un canevas, plus lent, plus à l’écoute de la couleur.
Le divertimento du Baiser de la fée fait aussi partie, avec la suite de Pulcinella, des grands moments du coffret, aux côtés de séances Prokofiev mythiques (Suites scythe, du Pas d’acier, de l’Amour des trois oranges, anguleuses et cassantes, ainsi qu’une excellente Symphonie classique, à la pointe sèche). La musique russe reste d’ailleurs l’un des domaines de prédilection de Markevitch, fulgurant dans la Première Symphonie de Chostakovitch, toujours passionnant dans Tchaïkovski (Roméo et Juliette par deux fois dans des contrastes ébouriffants, une belle Quatrième Symphonie, des suites du Lac des cygnes mais surtout de Casse-Noisette irrésistibles, maniaques du détail, avec une kyrielle d’éclairages instrumentaux originaux et un drive qui bousculeraient bien des danseurs).
Dans le répertoire plus classique, on retiendra surtout une Symphonie n° 102 de Haydn grisante de détails, millimétrée dans son accompagnement des cordes, dans la caractérisation de chaque thème, quand la Symphonie l’Horloge, sans démériter, reste plus convenue, mais aussi une Italienne de Mendelssohn le mors aux dents, insistant sur les indications con moto, et une Inachevée de Schubert très sombre et agitée, ne trouvant jamais le repos.
Dans les pièces courtes se multiplient les étincelles, tant dans un Prélude à l’après-midi d’un faune d’une sensualité très active, un Apprenti sorcier parmi les tout meilleurs du disque, une Valse de Ravel tumultueuse, emportant tout sur son passage, un Kikimora de Liadov crépitant et aux aguets, que dans une Nuit sur le mont Chauve abrupte et très crue ou une deuxième suite de Daphnis et Chloé portée par les bois inouïs du Philharmonia.
Sans oublier les faces pour les têtes blondes qui ont bercé toute une génération de futurs mélomanes, avec deux enregistrements, l’un en anglais (années 1950), l’autre en français (1969), à la fois de Pierre et le Loup et du Young person’s Guide to the orchestra, d’abord avec Wilfred Pickles et Peter Pears puis avec Peter Ustinov et exceptionnellement l’Orchestre de Paris, chacun avec des qualités de timbre propres, ainsi qu’un Carnaval des animaux inquiétant, aux zones d’ombre scrutées, façon cruel conte pour enfants.
Les deux opéras intégraux de Markevitch pour EMI avec l’Orchestre Lamoureux sont également repris, versions incontournables quoique victimes de quelques coupures d’Une Vie pour le tsar de Glinka (avec un cast on ne peut plus idiomatique : Christoff, Gedda, Stich-Randall) et une irrésistible Périchole d’Offenbach (à écouter les yeux fermés tant on ne perd pas une miette du texte).
Enfin, Markevitch défenseur de la musique de son temps n’est pas oublié, avec un ultime CD de premier intérêt : le Chant de la prison de Dallapiccola enregistré à Rome (1952) avec le Chœur et l’Orchestre de l’Académie Sainte-Cécile, et deux partitions du chef lui-même, l’Envol d’Icare (où il explore les micro-intervalles) et le Nouvel âge, gravés dans un son étonnant de clarté en 1938 avec l’Orchestre national de Belgique.
Au final, une somme incontournable pour tout amateur de direction d’orchestre et d’interprétations fortes.
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