6 déc. :
Mahler 5 Nelsons Lucerne |
La grande tradition
Gustav Mahler (1860-1911)
Rheinlegendchen
Wo die schönen Trompeten blasen
Das irdische Leben
Urlicht
Des Antonius von Padua Fischpredigt
Revelge
Der Tamboursg’sell
Matthias Goerne, baryton
Symphonie n° 5 en ut# mineur
Lucerne Festival Orchestra
direction : Andris Nelsons
captation : Michael Beyer
Enregistrement : KKL, Lucerne, 08/2015
1 DVD (ou Blu-ray) accentus music ACC20354
On ne peut imaginer conceptions plus différentes de Mahler que celles de Riccardo Chailly, commentée hier, et d’Andris Nelsons, objet de ce DVD édité lui aussi par accentus music. Là où le chef italien dégraisse la pâte sonore et resserre l’agogique, le jeune Letton revendique haut et fort la grande tradition et son cortège de couleurs plus sombres, de tempi plus assis, de rubati plus marqués, dans une approche plongeant à corps perdu dans la masse et l’épaisseur du son.
Déjà dans le concert d’ouverture de Lucerne 2014, le Brahms de Nelsons marchait clairement dans la mouvance karajanesque, en fondu et en largeur plus qu’en cursivité. Puis dans l’attente de la nomination de son nouveau directeur musical, l’Orchestre du Festival de Lucerne avait réinvité le jeune chef pour ouvrir le festival 2015, dans la Cinquième Symphonie de Mahler, précédée l’un des deux soirs par une sélection de Lieder extraits du Knaben Wunderhorn.
Ces sept Lieder ouvrent donc le DVD, et affichent le timbre extrêmement chaud et rond, toujours velouté, de Matthias Goerne, ancien élève de deux immenses mahlériens : Elisabeth Schwarzkopf et Dietrich Fischer-Dieskau. La caméra a fait le choix, ô combien judicieux, de ne pas filmer le baryton, toujours grimaçant et écarlate dans l’aigu, en gros plan. Malgré des torsions et gestes incessants, la voix garde une stabilité et une homogénéité assez impressionnantes, qui finissent toutefois par virer à la monochromie.
Et si le héros résigné de Revelge ou Der Tamboursg’sell se satisfait de cette émission très couverte, presque sourde, on rêve de couleurs plus jeunes dans Rheinlegendchen ou Wo die schönen Trompeten blasen, et d’une ironie plus grinçante pour Das irdische Leben. Mais partout l’orchestre offre un écrin somptueux, jusque dans la lenteur paralysante du petit tambour.
Ce grand style issu de la tradition germanique servira également de base à une Cinquième Symphonie large, d’une impressionnante profondeur des masses sonores, sans la moindre alacrité, d’une plénitude constante du premier tutti succédant au solo de trompette jusqu’à la course poursuite terminale où les trombones rougeoient allègrement.
Par-delà ses transitions étirées en un rubato magistral (le no man’s land central du Stürmisch bewegt et ses violoncelles presque à l’arrêt), on regrettera seulement que le tempo tende à caler dans les dédales du Finale. Mais l’Adagietto est un grand moment de direction, avec ses cordes du plus blanc au plus incandescent, et cette harpe dont les suspensions, qui suivent au millimètre les décompositions du geste du chef, donnent le vertige. Et si la pâte sonore manque parfois de netteté, un phénomène accentué par une prise de son peu détaillée, elle reste cohérente avec la démarche globale.
Avec un peu de recul, on peut considérer que l’expérience Nelsons à Lucerne aura eu le mérite de tourner franchement la page Abbado avec des options radicalement différentes, qui ne risquaient pas la comparaison du même genre en moins abouti. Mais chassez le naturel, il revient au galop, et quelques jours après ce concert capté en août 2015, c’est Riccardo Chailly, remplacé à Leipzig par Nelsons, que la phalange suisse s’est choisi comme nouveau directeur musical. Faut-il y voir une préférence jusque dans la manière de diriger Mahler ?
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