7 déc. :
Quatuor Diotima École de Vienne |
Les Diotima ont vingt ans
Schoenberg Berg Webern
Complete works for string quartet
Arnold Schoenberg (1874-1951)
Presto en ut majeur
Scherzo en fa majeur
Quatuor à cordes en ré majeur
Quatuors à cordes n° 1–4
Sandrine Piau, soprano
Alban Berg (1885-1935)
Quatuor Ă cordes op. 3
Suite lyrique
Marie-Nicole Lemieux, contralto
Anton Webern (1883-1945)
Langsamer Satz
Quatuor Ă cordes 1905
Rondo pour quatuor Ă cordes
Cinq Mouvement pour quatuor op. 5
Six Bagatelles pour quatuor op. 9
Quatuor Ă cordes op. 28
Quatuor Diotima
Enregistrement : MC2 Grenoble, 2010 ; Studio P4, Studio Britz, Berlin, 2014-2015
5 CD NaĂŻve V5380
Fin mars, lors d’un concert programmé au Théâtre des Bouffes du Nord, le Quatuor Diotima fêtait ses vingt bougies, et étrennait la promotion de son coffret Naïve consacré à l’intégrale des pièces pour quatuor de Berg, Schoenberg et Webern. L’occasion de faire le point sur le parcours effectué par des musiciens en 1996 fraîchement diplômés du CNSM de Paris. Le nom même de la formation, inspiré par Hölderlin et Nono, a toujours revendiqué un rapport viscéral à l’avant-garde, d’où des accointances particulières avec la création et le répertoire moderne.
Le parcours discographique des Diotima a suivi l’ascension progressive de leur carrière, jalonnée de récompenses tant chez Alpha qu’aujourd’hui chez Naïve, pour qui ils enregistraient déjà en 2010 un disque consacré à la Seconde École de Vienne repris dans ce joli petit coffret s’ouvrant comme une boîte de chocolats. Gare toutefois à consommer ces « douceurs » avec modération, leur contenu musical, pas vraiment sucré, tirant plutôt vers l’astringence d’un thé Gunpowder ou le feu d’un piment de Cayenne.
Sans être d’une absolue violence, la somme proposée est une ode à la rugosité d’une musique révolutionnaire, envisagée ici comme l’alpha de la musique contemporaine, sans la moindre concession au postromantisme dans les pièces atonales. Pas tant d’ailleurs dans la dureté du son ou le tranchant vertical des accords que dans les modes de jeux et les sonorités, assumant crânement trémolos sur le chevalet à donner la chair de poule et harmoniques glaciales, une impression renforcée par une prise de son chirurgicale, sans halo pour arrondir les angles.
Si l’on compare d’ailleurs le quatuor français avec les Emerson dans les pièces les plus radicales, les Mouvements op. 5 et Bagatelles op. 7 de Webern, pages les plus atmosphériques du coffret – Schoenberg s’avérant beaucoup plus exigeant dans ses développements –, force est de constater que les Américains proposaient des accents plus assénés, mais au fond moins de modernité dans les paramètres sonores, et notamment une conception du vibrato par défaut plus dans la tradition, les Diotima y recourant davantage comme un ornement et n’hésitant jamais à émacier la sonorité jusqu’au décharné.
Si Berg et Webern tiennent chacun sur un disque, Schoenberg, avec sa production plus prolifique, en occupe trois : un premier pour les pièces de jeunesse, deux autres pour les quatre quatuors numĂ©rotĂ©s. Un monde sĂ©pare d’ailleurs le Quatuor en rĂ© majeur de 1897 du Quatuor n° 4 de 1936, entre les atmosphères Mitteleuropa proches de Dvořák et le dodĂ©caphonisme ascĂ©tique coulĂ© dans une vaste structure, Ă l’opposĂ© des petites formes atomisĂ©es d’un Webern.
Les Diotima réussissent d’ailleurs le tour de force de donner leur plus éblouissante réussite dans le Quatuor n° 3, probablement le plus jusqu’au-boutiste, avec une maîtrise des répétitions rythmiques jusqu’à l’obsession, une stabilité de la pulsation, un tempo ne bronchant jamais, conservant tout du long une clarté polyphonique éclairant au mieux les arcanes d’un discours affreusement complexe.
Sans doute un rien en retrait dans le Quatuor op. 3 de Berg, les Français offrent un éclairage saisissant de modernité dans la Suite lyrique, théâtre des sentiments les plus exacerbés, très attentifs à servir le plus fidèlement le qualificatif psychologique de chaque indication de tempo (Allegro misterioso, Adagio appassionato, Presto delirando…), en ne singeant jamais l’orchestre à cordes que tant de quatuors essaient d’imiter.
Parmi les originalités du coffret, on notera la présence d’une Septième Bagatelle comportant une partie chantée chez Webern, page reniée à tort par le compositeur, et la version vocale du Largo desolato de la Suite lyrique de Berg sur le texte De profundis clamavi, tenues toutes deux par une Marie-Nicole Lemieux caméléon mais trop opératique sur les fortissimi.
Au terme du voyage, si l’on continue à conserver une légère préférence pour les couleurs plus sécessionnistes, moins contemporaines du Quatuor LaSalle (notamment dans la partie vocale du Deuxième Quatuor de Schoenberg par Margaret Price, format naturel et meilleure déclamation que Sandrine Piau), on ne saurait vous déconseiller de tenter l’aventure proposée par les Diotima, qui présentent ces incontournables du XXe siècle sous des atours sans concession qui gagnent à être connus.
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