8 déc. :
Wozzeck à l'Opéra de Zurich |
Un cruel théâtre de marionnettes
Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck
Christian Gerhaher (Wozzeck)
Brandon Jovanovich (Tambour-Major)
Mauro Peter (Andres)
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Hauptmann)
Lars Woldt (Doktor)
Martin Zysset (Narr)
Gun-Brit Barkmin (Marie)
Irène Friedli (Margret)
Chor und Kinderchor der Oper ZĂĽrich
Philharmonia ZĂĽrich
direction : Fabio Luisi
mise en scène : Andreas Homoki
décors & costumes : Michael Levine
Ă©clairages : Franck Evin
préparation des chœurs : Jürg Hämmerli
captation : Michael Beyer
Enregistrement : Opernhaus, ZĂĽrich, septembre 2015
1 Blu-ray (ou DVD) accentus music ACC10363
Réjouissons-nous de la présence des caméras d’accentus music à l’Opéra de Zurich pour immortaliser cette production de Wozzeck appelée à faire date, qui n’avait pourtant que moyennement séduit notre confrère Pierre-Emmanuel Lephay en salle. Andreas Homoki, dont on connaît la prédilection pour l’illusion et l’univers du cirque, s’approprie avec une forme de distanciation grinçante et grotesque la dramaturgie si étrange de la pièce de Büchner, en prenant le parti d’un décor unique modulable façon chambre noire des premiers appareils photos, où déambule une société de notables aux traits accusés, aux maquillages de céruse craquelée du meilleur effet.
Jamais loin du théâtre de pantins, jusqu’à faire de l’enfant de Marie une petite marionnette qui restera seule en scène au tomber de rideau, image bouleversante rappelant rien moins que la Mort de Tintagiles de Maeterlinck, c’est une véritable galerie de portraits que dresse le metteur en scène allemand d’ascendance hongroise, du Capitaine-Napoléon à l’Idiot façon Guignol inquiétant, d’un Wozzeck-bagnard à une Marie souillon à tignasse rouge, en passant par une multitude de clones des personnages principaux. Un éventail social repris en miniature par le groupe d’enfants au tomber de rideau. Dans cet univers visuel outré, Homoki ne cherche d’ailleurs en rien à nous apitoyer sur une Marie vulgaire à souhait, méchante bougresse ayant la gâterie facile.
La scénographie et ses bordures de cadres élimés font sentir tout du long l’étau qui se referme sur un Wozzeck lucide mais prisonnier d’une société de dégénérés, contraint de décapiter son adultère de femme clonée en répliques grotesques se trémoussant sur la musique de l’auberge. De même, le metteur en scène sait exploiter les ficelles dramatiques au gré de la musique, notamment dans l’interlude entre la scène de la taverne et celle du dortoir, où le Tambour-Major besognera une Marie ravie sur le rythme d’une valse claudicante aux premiers temps piétinés.
Très belle exécution musicale au demeurant, par un Philharmonia Zürich à son meilleur, sous la battue d’un Fabio Luisi au symphonisme arrondissant les angles, constamment sostenuto et d’un lyrisme bienvenu aux cordes, mais attentif à la petite percussion pour ne pas trop estomper la modernité de l’ouvrage. La gradation dramatique presque wagnérienne échafaudée entre le milieu du spectacle et la catastrophe finale agit d’ailleurs à la manière d’une lame de fond pas forcément perceptible d’emblée.
Le plateau se plie à merveille à la scène comme à la fosse, et avant tout autre le Wozzeck lunaire de Christian Gerhaher, émission très claire, naïve et extrêmement précise à la fois, creusant les fragilités du rôle-titre avec une science d’un raffinement exceptionnel. Son négatif absolu, la Marie de Gun-Brit Barkmin, très nette de diction, poitrine sur toute la hauteur, en aigreurs et stridences ne risquant pas de contredire la mise en scène. Capitaine fat et efféminé, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke s’épargne les vociférations, soucieux d’une vraie ligne, tandis que le Docteur de Lars Woldt affiche une émission mordante, en rien abyssale, très facile d’aigu, et que Brandon Jovanovich campe un Tambour-Major pas Helden mais bien déboutonné.
En somme une nouvelle pierre à l’édifice du génie d’Alban Berg disponible dans une vidéographie peu imposante eu égard à l’importance historique de l’ouvrage. La captation de Michael Beyer, qui sait scruter la précision de la direction d’acteurs dans des gros plans parfaits, et avec une précision du piqué et un magnifique rendu des couleurs – ne vous fiez pas au générique de début un peu flou – participe en plein à la réussite de l’entreprise.
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