9 déc. :
Schwarzkopf - les 78 tours |
La naissance de la voix du siècle
Elisabeth Schwarzkopf
The Complete 78 RPM Recordings
1946-1952
Mozart, Strauss, Puccini, Verdi, Brahms, Schubert, Haendel, Humperdinck, Dowland, Arne, Morley, Charpentier, Bizet, Beethoven, Wagner, Medtner, Schumann, Wolf, Stölzel, Christmas Songs
Elisabeth Schwarkopf, soprano
5 CD Warner Music 0190295955117
Le 9 décembre 2015, le monde musical célébrait le centenaire de la naissance d’Elisabeth Schwarzkopf en rééditant chez Warner Music (ex-EMI) la totalité des récitals de la diva tedesca assoluta du XXe siècle dans un magnifique coffret de 31 CD suivant scrupuleusement les disques LP parus entre 1952 et 1974, jusqu’aux visuels d’origine, avec une remasterisation gommant l’aspect froid et métallique que la soprano elle-même reprochait au support CD des années 1980.
On pouvait suivre alors le parcours incroyable d’une voix, du rossignol à l’émission déjà immédiatement reconnaissable jusqu’au soprano straussien miraculeux et unique dans l’histoire de l’enregistrement, avec trois cœurs de cible principaux : Mozart, Richard Strauss et le Lied. Sans oublier quelques extraits wagnériens peu ou pas abordés en scène mais d’un rayonnement inouï (Elsa de Lohengrin, Elisabeth de Tannhäuser).
Alors que l’on fête aujourd’hui les 101 ans de la divine, Warner propose pour boucler la boucle un coffret beaucoup plus mince de 5 CD consacré aux premiers pas de la soprano devant les micros dans l’immédiat après-guerre (1946-1952), pour ses tout premiers 78 tours gravés sur gomme-laque. On retrouve donc les célèbres séances viennoises avec Karajan, dans un son un rien assombri mais très confortable pour la balance voix-orchestre comme l’imparfait Martern aller Arten que la soprano elle-même devait juger sévèrement des années plus tard, mais aussi l’air du Requiem allemand enregistré en 1947, fragile, fébrile, d’une innocence incomparable.
Ces premières sessions, illustrées par des pochettes individuelles à l’aspect froissé des Schellack-Schallplaten sont admirablement résumées par le duo de Pamina-Papageno avec Erich Kunz, d’une bouleversante simplicité, d’une pureté exquise. Très vite délocalisée à Londres, Schwarzkopf y gravera beaucoup de miniatures avec le Philharmonia et Josef Krips, parmi lesquelles un Mi tradi déjà d’une passion dévorante, mais aussi trois extraits de Hänsel et Gretel avec son double Irmgard Seefried, un petit quart d’heure de l’histoire du disque à chérir.
Les escapades italiennes, que la soprano abandonnera après avoir entendu Maria Callas, sont à marquer d’une pierre blanche, des plages pucciniennes (Tu che di gel sei cinta de Turandot avec Karl Böhm, Un bel di vedremo, déchirants de lyrisme) aux extraits verdiens (un Addio del passato à liquéfier du marbre). Dans la musique plus ancienne, même si le style a vieilli, la grande Elisabeth donne la leçon dans la Cantate BWV 51 de Bach, festival de vocalises, ainsi que dans deux gravures de l’Exsultate jubilate de Mozart, d’abord à Vienne avec Krips (1946), puis à Londres avec Süsskind (1948).
Le domaine du Lied n’est pas en reste, avec beaucoup de plages enregistrées mais jamais publiées sur 78 tours à l’époque, dont les tout premiers essais avec un Gerald Moore toujours aussi souverain de présente discrétion : Da unten im Tale, quelques Schubert à thésauriser, l’Ave Maria de Gounod sans une once de guimauve, mais aussi le célèbre Bist du bei mir que personne n’a chanté ainsi. Sans oublier quatorze mélodies de Medtner, en allemand ou anglais, avec le compositeur au piano (1950).
Et déjà des Wolf que Schwarzkopf défendra comme personne, scrutés au millimètre, chaque inflexion génialement retranscrite, monument d’intelligence et d’ambiguïté, chez ce compositeur qu’elle considérait comme le plus grand de tous dans le domaine du Lied, et pour lequel elle affinera encore le legato quelques années plus tard. Dernière pépite, quatre minutes du Tot denn alles de Tristan avec l’immense Ludwig Weber, où Schwarzkopf chante avec un renoncement inouï les quelques répliques de Brangäne précédant une Liebestod qui n’aura pas lieu. Magistral !
On sera étonné parfois d’un rendu sonore différent d’une plage à l’autre donnant l’impression d’un état de conservation variable selon les matrices. Les plages 4 à 9 du CD 3 sont le meilleur exemple de ces disparités, pour des enregistrements d’octobre 1950 dont seul l’air de Marzelline sonne avec la présence d’une bande magnétique, les autres plages, gravées soit le même jour soit la veille, appartenant clairement à la génération gomme-laque et à ses légers craquements. Un mystère qui ne retire rien à une somme exceptionnelle.
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