12 déc. :
Antonio Pedrotti Ă Prague |
Pedrotti retraverse le rideau de fer
Antonio Pedrotti in Prague
Ottorino Respighi (1879-1936)
Les Pins de Rome / Les Fontaines de Rome / Les FĂŞtes romaines / La Boutique fantasque
Maurice Ravel (1875-1937)
Ma mère l’Oye / Pavane pour une infante défunte / Daphnis et Chloé (suite n° 2)
Manuel de Falla (1876-1946)
Nuits dans les jardins d’Espagne
Jan Panenka, piano
Johannes Brahms (1833-1897)
Variations sur un thème de Haydn
Modest Moussorgski (1839-1881)
Tableaux d’une exposition
Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune
Felix Mendelssohn (1809-1847)
Symphonie n° 4 « Italienne »
Česká Filharmonie
direction : Antonio Pedrotti
Enregistrements : Rudolfinum, Prague, 1951-1971
3 CD Supraphon Archiv SU 4199-2
Cela fait une dizaine années que l’on appelait de nos vœux le retour au catalogue d’un trésor du label Supraphon : le triptyque romain de Respighi par la Philharmonie tchèque et Antonio Pedrotti (1901-1975), grand chef italien d’une discrétion absolue, élève du compositeur et l’un des premiers à franchir le rideau de fer, resté dans la mémoire de quelques discophiles grâce aux Indispensables (Fayard) de Jean-Charles Hoffélé et Piotr Kaminski, qui avaient attribué en 1995 la récompense suprême à un disque devenu depuis quasiment introuvable.
Plutôt que de rééditer seulement ces trois gravures modèles, Supraphon propose en cette fin d’année un petit coffret monographique de 3 CD intitulé Antonio Pedrotti in Prague comprenant la quasi-totalité (manque un peu de Brahms) des enregistrements de l’Italien avec la Philharmonie tchèque au Rudolfinum (1951-1971). Le troisième disque, reprenant les premières sessions mono (Tableaux, Daphnis, Faune, Italienne), est d’ailleurs intégralement constitué de premières éditions au CD.
Même si l’essentiel du répertoire du chef lors de ses concerts avec la phalange pragoise était centré sur les classiques, c’est le répertoire du XXe siècle qui se taille ici la part du lion, et d’abord les Respighi précités, d’une précision des rythmes, d’une qualité coloriste inouïe, d’un pointillisme donnant leurs lettres de noblesse à des pages souvent bruyantes et emphatiques, objets ici de tous les soins.
Dans les Pins près d’une catacombe, on croirait entendre la nature mahlérienne avec son cor de postillon dans le lointain : le maestro cherche le climat par la présence sourde d’une pédale dans le grave, la modernité par les alliages de timbres plutôt que le fracas par la masse, notamment dans des Pins de la voie appienne plutôt soft, à l’opposé tant du surlegato de Karajan que du défilé martial de Toscanini.
Les quatre Fontaines de Rome éclaboussent de fraîcheur et d’embruns jusque dans la douceur du soir de la Villa Médicis, tandis que les excès sonores des Fêtes romaines demeurent sous contrôle. Si ce triptyque ne mérite que des éloges, on monterait presque d’un cran encore avec la Boutique fantasque, pastiche rossinien dont raffolaient les chefs de l’époque, d’Ansermet à Dorati, occasion ici d’un festival de couleurs et mouvements chorégraphiques à l’élan irrésistible.
Jusque dans les Tableaux d’une exposition, Pedrotti sait réinventer une caractérisation de pièces mille fois entendues en tirant l’ensemble davantage du côté de Ravel que de Moussorgski, vif, limpide, jouant l’horlogerie orchestrale impitoyable, à la pointe sèche, sans la moindre emphase dans les Promenades ou la Grande porte de Kiev, avec un Gnomus et une Baba-Yaga lapidaires. Il est jusqu’à l’aire de jeux des Tuileries de donner l’impression que rôde une menace.
La caractĂ©risation très forte des bois tchèques de l’époque Ančerl, l’extrĂŞme individualitĂ© des timbres et la gestion du vibrato (le cor) Ă©clairent certaines pages d’une manière Ă´ combien originale, comme ce PrĂ©lude Ă l’après-midi d’un faune lancĂ© par une flĂ»te en bois au vibrato serrĂ© et ample Ă la fois, au mystère inquiĂ©tant et sauvage tirant vers les premiers rites paĂŻens du Sacre, en phrasĂ©s courts et morcelĂ©s.
La même impression persiste dans une suite de Ma mère l’Oye aux cordes pointues, rien moins qu’enjôleuses, et dans une deuxième suite de Daphnis et Chloé s’ouvrant sur une volière sonore très active, fourmillant de chants d’oiseaux, de frémissement des éléments. Très bien articulée dans ses tempi modérés, avec un staccato impeccable des deux flûtes dans le Saltarello, l’Italienne de Mendelssohn n’est pas en reste, surtout dans cette excellente mono de 1951.
Ajoutons enfin que la notice quadrilingue du livret (un phénomène en voie de disparition) est passionnante, et que les prises de son, tant en mono (jamais étriquée ou chuintante) qu’en stéréo (le magnifique espace des Pins de Rome de 1971) resplendissent au service de la précision d’orfèvre d’un chef dont on redécouvre l’art les oreilles émerveillées.
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