13 déc. :
Currentzis et Isserlis Ă Bruges |
Les écorchés-vifs
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Concerto pour violoncelle n° 1
Steven Isserlis, violoncelle
Symphonie n° 1
Benjamin Britten (1913-1976)
Sinfonietta
The Mahler Chamber Orchestra
direction : Teodor Currentzis
captation : Johan Cloetens
Enregistrement : Concertgebouw, Bruges, 2013
1 Blu-ray (ou DVD) EuroArts 2059814
Ce programme symphonique filmé dans la très moderne salle du Concertgebouw de Bruges avait déjà paru en 2014 en DVD chez EuroArts, qui sort cette fois le Blu-ray de la même soirée. Un concert loin du consensus mou qui sévit un peu partout, avec des artistes (le Mahler Chamber Orchestra, le chef greco-russe Teodor Currentzis et le violoncelliste britannique Steven Isserlis) jouant comme si leur vie en dépendait, au risque de nous faire tressauter devant notre téléviseur, particulièrement dans le Premier Concerto pour violoncelle de Chostakovitch qui ouvre les hostilités.
Une fausse indolence traverse tout le premier mouvement, que le chef-gourou, catogan strict et manches de chemise bouffantes, fait son possible pour ne jamais laisser filer plus vite que l’Allegretto indiqué. Et si les premières mesures paraissent presque nonchalantes, c’est pour mieux asséner au violoncelle des attaques au talon assassines et de véritables torpilles aux timbales et aux cuivres, minant le terrain d’une pseudo maladresse sostenuto idéale pour rendre les ambiguïtés d’un discours entre ironie et tragique.
Aux frontières du silence, proche du chevalet et des harmoniques, le Moderato erre, décharné, dans un paysage nu où seul tinte un célesta, avant une longue cadence atomisée préparant un Allegro con moto terminal d’une violence inouïe, timbales déchaînées, bois hirsutes, dans une caricature sanglante de Suliko, la chanson préférée de Staline, scandée par un Steven Isserlis secouant les boucles de son épaisse chevelure grise dans des mouvements de tête proches de la transe, secondé par un Teodor Currentzis au regard possédé.
Après la Sinfonietta de Britten, opus 1 de magnifique facture du compositeur anglais, donnée ici sans chef, d’une précision instrumentale justifiant le terme central de Mahler Chamber Orchestra, les cheveux lâchés, Currentzis part à la conquête de la Première Symphonie de Chostakovitch avec un air toujours aussi allumé, brassant autant d’air de ses immenses bras pour le plus infime pianissimo que pour le plus grand tutti, dirigeant sa partition plus que l’orchestre, mais avec des résultats étonnants, les musiciens hyper réactifs et brillantissimes du MCO lui mangeant dans la main, martelant un staccato abrupt.
Malgré de réelles qualités, un Scherzo motorique un rien desservi par un pianiste aux fraises, qui rate sa première entrée, un Lento intense et un Finale d’une magnifique tension, au violoncelle solo à se damner, on ne retrouvera pas exactement le degré d’incandescence d’avant l’entracte dans cette Première Symphonie plus dispersée, moins unitaire dans sa folie bien que déjà magistrale. Le Mahler Chamber Orchestra demeure la formation ad hoc pour ce type d’expérimentation jusqu’au-boutiste, là où la tradition de n’importe quel orchestre symphonique serait un frein.
Volontaire ou non, la surexposition drastique de la prise de son laisse passer tournes de pages et feulements du chef, claquements de chaussures du soliste et même la sonnerie d’un portable après le premier mouvement de Britten, mais renforce finalement un climat sonore exacerbé, rappelant plus d’une fois l’alacrité des orchestres écorchés-vifs de l’ère soviétique. Peut-être une forme d’authenticité retrouvée, et une expérience musicale quoi qu’il en soit.
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