15 déc. :
Tristan et Isolde Ă Bayreuth |
La vengeance du roi Marke
Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Christian Thielemann
mise en scène : Katharina Wagner
décors : Frank Philipp Schlössmann & Matthias Lippert
costumes : Thomas Kaiser
Ă©clairages : Reinhard Traub
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
captation : Michael Beyer
Enregistrement : Festspielhaus, Bayreuth, 2015
2 DVD (ou Blu-ray) Deutsche Grammophon 00440 073 5251
Après un été blanc, sans nouvelle production, le festival de Bayreuth 2015 affichait un nouveau Tristan très attendu, deuxième mise en scène in loco de l’arrière-petite-fille de Wagner. Et là où les Maîtres Chanteurs de Katharina, en 2007, revendiquaient un réel iconoclasme, ce Tristan plus mûr – moins imaginatif diront certains – tente de légitimer son poste de directrice du festival. Jusque dans ce long générique d’ouverture du DVD, très lent, sur fond noir, dans un silence religieux, symbole de respectabilité supplémentaire.
Chez la maîtresse des lieux, dans un décor labyrinthique à la Escher, tout doit se dresser entre Tristan et Isolde afin qu’ils n’exhibent pas la passion qui les dévore, que ce soient des volées de marches métalliques se dérobant devant leurs pas ou des suivants agissant à la manière de garde-fous. On ne prend d’ailleurs même plus la peine de nous faire croire au philtre, que les amants renverseront d’un commun accord.
Cet amour revendiqué leur vaudra les foudres d’un roi Marke revanchard, qui séquestre les fautifs dès le début du II, faisant épier chacun de leurs faits et gestes par d’incessantes poursuites de projecteurs depuis le mur d’enceinte de leur prison. Tout du long, une Brangäne un peu nunuche, peureuse, d’une maladresse angoissée et hyperactive, tentera de ne pas aggraver le cas de sa maîtresse.
Les amants maudits chercheront ainsi à tout prix à échapper à la lumière, révélateur de leur péché, jusqu’à naïvement s’imaginer qu’un simple drap les dérobe à la vue du roi qu’ils ont trahi, avant de trouver le repos dans la nuit, et dans une régression où chacun, remontant à l’enfance, marchera sur un chemin de lumière bleutée, avant de se mutiler sur les griffes d’une cage de métal.
Avec un réel esthétisme, une longue scène de veille à la manière de Georges de La Tour précèdera enfin des hallucinations du mourant un peu ratées. La dernière scène laisse une meilleure impression, avec un roi Marke qui, bien décidé à jouer de ses prérogatives, arrache sa promise, hagarde, au catafalque de Tristan, pendant que l’orchestre laisse sonner un long trait d’union des hautbois entre les deux derniers accords.
La distribution est dans l’ensemble de très belle facture, même si Evelyn Herlitzius, un peu chahutée aux saluts, demeure une Isolde problématique vocalement sinon scéniquement, avec sa voix acérée, au médium grêle abusivement poitriné, son vibrato conséquent, qui sait au moins donner de la présence au personnage et un caractère bien affirmé. Le Kurwenal d’Iain Paterson et le roi Marke de Georg Zeppenfeld sont excellemment chantés, conformes au souvenir qu’on en avait, quand Christa Mayer sort métamorphosée par la captation, timbre plus consistant, moins diffus qu’en direct, Brangäne toujours très musicale.
Les micros flattent également la lecture de Christian Thielemann, certainement pas une brûlure théâtrale mais ici d’une consistance dramatique inattendue, loin de simples volutes contemplatives. La matière sombre et dense des cordes, le bronze des cuivres étonnent en comparaison du rendu sonore beaucoup plus lisse en salle. L’indication très vague de date d’enregistrement (2015 sans plus de précision) laisse clairement penser à un montage de plusieurs soirées – la magnifique tension en arche du prélude du I, vraiment pas flagrante le 13 août sur place.
Reste que dans une courte interview proposée en bonus, le chef berlinois confirme que sa vision de Tristan a beaucoup changé depuis son enregistrement à l’Opéra de Vienne pour Deutsche Grammophon en 2003, nerveux et tendu, au profit d’une matière plus étale qui ne laisse pas « sortir le tigre de sa cage à tout propos ». Un spectacle qui aura au final largement gagné à sa captation.
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