16 déc. :
Passion selon saint Jean Jacobs |
Saint-Jean sans déploration
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Johannes-Passion
Werner Güra, Évangeliste
Sunhae Im, soprano
Benno Schachtner, alto
Sebastian Kohlhepp, ténor
Johannes Weisser, basse (JĂ©sus)
RIAS Kammerchor
Staats- und Domchor Berlin
Akademie fĂĽr alte Musik Berlin
direction : René Jacobs
Enregistrement : Teldex Studio, Berlin, 07/2015
2 SACD (+ 1 DVD) Harmonia Mundi HMC 802236.37
Après une Passion selon saint Matthieu qui a fait couler beaucoup d’encre par ses options acoustiques radicales, avec ses deux groupes aux niveaux sonores très différents pour restituer la sensation que l’on peut avoir à l’église Saint-Thomas de Leipzig, la nouvelle Saint Jean d’Harmonia Mundi, approximativement avec la même équipe, sera nettement moins polémique.
René Jacobs est toujours partisan d’une narration théâtralisée, sans temps mort, chaque plage s’enchaînant sans pause avec la suivante, dans un rendu parfaitement vivant, au continuo riche en couleurs, troquant parfois l’orgue positif pour le clavecin (Von den Stricken et Erwäge) et agrémentant la plupart des récitatifs de la douce couleur du luth. Une fois passée la première partie, et son chœur introductif débutant aux frontières du silence, au crescendo des graves empoigné pour lancer le chœur, toute noirceur est écartée.
Es ist vollbracht en apparaît presque serein, sans dolorisme, l’accomplissement vu comme un sacrifice positif, sans le moindre atermoiement. La prise de son, somptueuse comme toujours chez Harmonia Mundi, rend justice le plus fidèlement possible aux options du chef, avec cet ensemble de vingt chanteurs dont sont issus les quatre solistes – à qui sont confiés quelques passages d’ordinaire dévolus au chœur –, et le renfort d’un autre groupe pour les chorals et les chœurs d’entrée et de sortie, rehaussés d’une douzaine de voix d’enfants.
Un travail rhétorique toujours passionnant, aux options assumées, découpant le texte de chaque choral, donnant beaucoup de vie à un récit ici plein d’espoir. Il y manque à notre sens une respiration intérieure, des zones d’ombres et une gestion moins fonctionnelle des silences, souvent bien courts. Reste une réalisation de rêve, avec les forces du RIAS Kammerchor et une Akademie für alte Musik Berlin au top niveau.
L’Evangéliste de Werner Güra ne manque que du calme, de l’aura d’un Prégardien pour toucher au sublime, voix parfois étriquée, en manque d’assise, qui reste plus convaincante que le Jésus trop concret et actif de Johannes Weisser, voix fine convenant très bien aux airs de basse (très beau Betrachte meine Seel) mais en manque de douceur, de velouté et de hauteur de vue pour le Sauveur.
Incontournable dans les enregistrements de Jacobs, Sunhae Im a l’agilité et la fraîcheur nécessaires aux airs de soprano, mais un timbre qui pourrait briller plus naturellement, tandis que le chef gantois a trouvé en Sebastian Kohlhepp un magnifique ténor à la couleur idoine et à l’allemand impeccable, et en Benno Schachtner un contre-ténor parfait pour Bach (au legato près), pudique et stylé, loin des rodomontades lyriques pour les airs d’alto.
En appendice, on trouvera les variantes de la version de 1725, dont un étonnant air de tempête pour le ténor, ainsi que le chœur d’ouverture alternatif O Mensch bewein, qui deviendra clôture de la première partie de la Saint Matthieu, et le choral final traduction allemande de l’Agnus dei remplaçant Ach, Herr. Une version primitive qui est même proposée en téléchargement pour les acquéreurs du coffret.
Un making of de 52 minutes sur DVD présente des extraits de répétitions, d’un concert à la Philharmonie de Paris, et Jacobs expliquant sa conception de la Johannes-Passion, l’importance capitale du texte, qu’il a lui-même trop longtemps, en tant que chanteur, abordé sans vraiment en comprendre les subtils arrière-plans théologiques. Et d’insister sur l’aspect fondamental, que l’on soit croyant ou non, de transmettre comme un bien culturel commun l’histoire de la Passion, que de plus en plus de jeunes chanteurs ne connaissent qu’approximativement.
Le tout dans un très joli coffret orné de la célèbre Sainte Trinité de Cranach, avec des textes passionnants de Jacobs et du musicologue Konrad Küster sur les différentes moutures de l’ouvrage.
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