17 déc. :
Dardanus à l'Opéra de Bordeaux |
Le kitsch réinventé
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Dardanus
Version 1739
Karina Gauvin (VĂ©nus)
Gaëlle Arquez (Iphise)
Reinoud Van Mechelen (Dardanus)
Florian Sempey (Anténor)
Nahuel di Pierro (Teucer / Isménor)
Katherine Watson (Amour / une Bergère / Bellone, un Songe)
Étienne Bazola (Un Berger)
Virgile Ancely, Guillaume Gutiérrez (Un Songe)
Pygmalion
direction : Raphaël Pichon
mise en scène : Michel Fau
décors : Emmanuel Charles
costumes : David Belugou
éclairages : Joël Fabing
chorégraphie : Christopher Williams
Enregistrement : Grand Théâtre, Bordeaux, avril 2015
Combo DVD-Blu-ray Harmonia Mundi HMD 9859051.52
Moment fort de la saison 2014-2015 de l’Opéra de Bordeaux, le Dardanus de Rameau aux couleurs flashy selon Michel Fau, qui marquait les débuts de l’Ensemble Pygmalion dans une fosse d’orchestre, paraît en DVD chez Harmonia Mundi. L’occasion de retrouver un spectacle aux couleurs bigarrées, véritable ode au kitsch entre Pierre et Gilles et le XVIIIe revu par Fellini qui réussit le pari de s’intégrer à merveille aux codes pourtant stricts de la tragédie lyrique, jamais maltraitée ni dans la forme ni dans l’esprit, restes de gestuelle et danses jamais contournés.
La banquette coquillage de Vénus, la coiffe à plumes et les lunettes noires du mage Isménor, le squelette de profil en position de prière sur une toile peinte pendant Dieux funestes, le monstre bodybuildé ne jurent à aucun moment dans la dramaturgie de Charles-Antoine Leclerc de La Bruère, s’intégrant au passage parfaitement à la bonbonnière qu’est le Grand Théâtre de Bordeaux. Dans un court making of de vingt minutes (au son épouvantable comparé à celui, impeccable, de la captation du spectacle), Raphaël Pichon explique d’ailleurs que Michel Fau et lui ont tenu à préserver une forme de merveilleux, en actualisant juste le kitsch Louis XV à notre époque.
Le jeune chef français, qui a choisi la mouture initiale de 1739 plutôt que la refonte de 1744, à laquelle il emprunte juste quelques éléments, a par ailleurs effectué un travail remarquable sur le chant. Le temps semble loin où le baroque français était la chasse gardée de voix minuscules, si l’on en juge par une distribution consistante, au premier rang desquelles la Vénus pulpeuse à souhait d’une Karina Gauvin aux capacités illimitées. Anténor trouillard, Florian Sempey offre la plus belle déclamation du plateau et un timbre nourri qui ne se resserre que dans l’extrême grave, le registre où excelle Nahuel di Pierro, successivement Teucer et Isménor au magnifique creux.
Mais jamais l’Iphise de Gaëlle Arquez, magnifique timbre corsé de mezzo au vibrato fiévreux, ou le Dardanus de Reinoud Van Mechelen, exacte couleur de haute-contre à la française et ligne châtiée, ne manquent de présence, dans une équipe vocale à laquelle Pichon, chanteur lui-même, a su insuffler mille inflexions et une manière de croquer les mots ne butant que sur la pointe d’accent et quelques voyelles suspectes chez les moins francophones. Seul regret, si le chœur sonne excellemment, il manque presque constamment d’intelligibilité, un écueil fort répandu de nos jours.
Reste l’Ensemble Pygmalion, remarquable jeune formation de musique ancienne amenée à explorer bien au-delà de son biotope naturel, qui rayonne ici d’un camaïeu de couleurs fascinant, sans jamais la moindre dureté dans le son, d’un classicisme, d’une rondeur inimaginables il y a quelques années encore pour les instruments anciens. Et si l’on peut préférer angles plus saillants ou sonorités plus aiguisées, le ton très versaillais employé ici est d’un bon goût absolu.
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