22 déc. :
Parsifal à l'Opéra de Berlin |
Crise de foi
Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal
Wolfgang Koch (Amfortas)
René Pape (Gurnemanz)
Andreas Schager (Parsifal)
TĂłmas TĂłmasson (Klingsor)
Anja Kampe (Kundry)
Matthias Hölle (Titurel)
Staatsopernchor
Staatskapelle Berlin
direction : Daniel BarenboĂŻm
mise en scène : Dmitri Tcherniakov
costumes : Elena Zaytseva
Ă©clairages : Gleb Filshtinsky
préparation des chœurs : Martin Wright
captation : Andy Sommer
Enregistrement : Staatsoper im Schiller Theater, Berlin, 04/2015
1 Blu-ray (ou DVD) BelAir Classiques BAC428
Avant même les agapes du réveillon qui approche, intéressons-nous à une véritable crise de foi. Fort commenté à sa première, le nouveau Parsifal de l’Opéra de Berlin mis en scène par Dimitri Tcherniakov en avril 2015 ne livrera pas plus ses secrets sur support numérique qu’il ne l’avait fait en salle. Saluons pourtant un dispositif scénique extraordinaire et éclairé à la perfection, ne lassant pas une seule seconde sur les quatre heures et dix minutes que dure le spectacle.
L’occasion d’ailleurs de décerner des lauriers à la captation d’Andy Sommer, qui a troqué les délires visuels qui avaient massacré le Tristan d’Olivier Py pour capter au plus près, et sans jamais reléguer le décor au rang d’utilité, l’extraordinaire direction d’acteurs du metteur en scène russe, grand maître dans l’art de faire parler les corps, les gestes et les regards.
À défaut de percevoir le sens profond de la démarche de Tcherniakov, qui semble disserter sur le monde d’aujourd’hui et son rapport à la spiritualité, on suivra avec la plus grande attention certaines pistes dignes d’intérêt. La communauté du Graal est ici confrérie d’égarés, vivant leur foi dans un décor à mi-chemin de l’édifice religieux et d’une triste salle de prière clandestine en sous-sol, accueillant des inadaptés que Gurnemanz a constamment à l’œil.
Parsifal, qu’on croirait sorti de Pékin Express avec son sac à dos de vingt kilos sur les épaules et son sweat à capuche toujours rabattue sur la tête, trekkeur urbain cherchant à fuir ses souvenirs, assistera à une célébration où Titurel, maître de cérémonie fanatique au point d’officier couché dans son futur cercueil, provoque l’adoration de la foule pour la plaie carrément gore de son fils où sera prélevé le sang dont chaque fidèle réclamera sa goutte.
L’antre du mage Klingsor occupe le même décor dans les tons mauves d’une chambre pour enfant, terrain de jeu d’un vieil instituteur pervers en gilet Jacquard vivant au milieu d’écolières en robes à fleurs et col claudine, qui délaisseront bien vite leur corde à sauter à l’arrivée du jeune routard. Kundry sert surtout de révélateur au chaste fol, qui revit son adolescence face à une mère castratrice, le surprenant lors de ses premiers ébats avec une jeune fille, une honte qui le poursuit encore dans sa manière de se couvrir constamment le chef.
De retour dans la salle de prière, Gurnemanz apparaît au III usé par ses années au service de fidèles de plus en plus hagards, dépourvu de réaction lorsqu’ils en viennent aux mains pendant la cérémonie funèbre de Titurel, que son fils, hirsute, à demi-dément, traîne hors de son cercueil. Au tableau final, Amfortas reprend goût au désir immédiatement en embrassant à pleine bouche une Kundry qui sortira de scène occise par la lame de Gurnemanz voyant d’un mauvais œil le retour de la chair en son église, tandis que des fidèles lobotomisés implorent à genoux leur nouveau rédempteur.
La musique, en comparaison, risque de faire consensus, de la direction pleine de douceur et de sérénité de Daniel Barenboïm, moins contemplatif qu’au disque, laissant résonner les magnifiques couleurs de la Staatskapelle Berlin, à un bon chœur qui n’est pas celui de Bayreuth, en passant par une distribution de haut vol comme les Berlinois y sont accoutumés.
Nouveau Heldentenor sous les projecteurs, Andreas Schager, n’était un vibrato large qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir, est un Parsifal jeune et éclatant, au magnifique timbre, crédible en ado paumé mais musicalement bien primaire face à la Kundry magnétique d’Anja Kampe, autre wagnérienne en pleine ascension, qui joue parfaitement des ruptures de tessiture, excellente tragédienne sinon elle aussi musicienne accomplie.
Wolfgang Koch use d’un beau legato et d’une déclamation poignante pour évoquer les souffrances d’un Amfortas au bout du rouleau, qui perd ici ou là sa justesse, relayé en noir maléfique par le Klingsor toujours aussi sadique de Tómas Tómasson. Enfin, René Pape reste un monument, exacte ampleur de vieux chevalier bourru au cœur tendre, Gurnemanz maître de la plus belle voix de basse wagnérienne de notre époque.
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