23 déc. :
The art of Nikolaus Harnoncourt |
Un condensé du dialogue musical
The art of Nikolaus Harnoncourt
Bach, Beethoven, Biber, Bruckner, Dvořák, Haendel, Haydn, Mendelssohn, Monteverdi, Mozart, Schubert, Schumann, J. Strauss, Vivaldi
Concentus Musicus Wien, Berliner Philharmoniker, Chamber Orchestra of Europe, Concertgebouw Amsterdam, Wiener Philhamoniker
direction : Nikolaus Harnoncourt
Enregistrements : 1968-1999
15 CD Warner Classics 0190295929718
Dimanche 6 mars 2016 en fin de matinée, la nouvelle tombe : le chef d’orchestre Nikolaus Harnoncourt est mort la veille, des suites de la maladie qui l’avait fait annoncer sa retraite du monde musical trois mois auparavant, juste avant son 86e anniversaire, à travers un communiqué adressé au public d’un concert Bach prévu au Musikverein de Vienne. Avec lui s’éteignait autant un esprit qu’un musicien hors normes, une manière de penser la musique, de questionner la tradition et les pratiques routinières bien au-delà de la révolution baroque initiée dans l’après-guerre.
Le coffret hommage de 15 CD que lui consacre Warner est une excellente introduction à l’art d’un chef ayant toujours abordé ses explorations du répertoire dans l’ordre chronologique, de Monteverdi jusqu’à Bruckner en ce qui concerne sa production pour la maison de disques Teldec. Précisons toutefois que nous n’avons pas affaire ici à une compilation, les œuvres présentées étant complètes, et d’abord le fameux Orfeo de Monteverdi de 1968, pionnier dans les pratiques historiquement informées.
On reste fasciné par des choix tranchés dès la Toccata introductive qui ferraille admirablement aux cuivres, et des sonorités écharpées qui sautent à la gorge, mais aussi une distribution où brillent un inoubliable Orfeo ténor (Lajos Kosma) et la Messaggiera de Cathy Berberian. Et même si les chœurs ont un peu vieilli, rien à voir avec ceux du DVD du spectacle de Ponnelle capté à Zurich une décennie plus tard.
L’approche sans concession du pape du baroque frappe peut-être plus encore dans les Quatre Saisons de Vivaldi gravées avec son épouse Alice en soliste (1977), relecture radicale, sèche et impitoyable, véritable laboratoire de sonorités dans une esthétique de la laideur revendiquée, histoire de clairement tourner le dos à la joliesse des Solisti Veneti.
Moins terroristes, les CD consacrés aux sonates de Biber et à la Water Music de Haendel révolutionnèrent surtout le mouvement proche de la danse et les articulations, avec ces inoubliables timbres du Concentus Musicus de l’époque – le divin hautbois du regretté Jürg Schaeftlein. Un disque de symphonies médianes de Haydn poursuit dans cette même veine, théâtralisant son écriture symphonique avec malice et gourmandise.
Bach et Mozart, les deux compositeurs qu’Harnoncourt plaçait au-dessus de tous les autres, sont présents, le premier avec les Cantates n° 80 à 83, et notamment une Ein feste Burg ist unser Gott rayonnant d’une joie émerveillée grâce aux chœurs d’enfants, le second par l’album incontournable avec Edita Gruberova, live d’airs de concert où la soprano se promène avec une intelligence absolue dans ces pages stratosphériques. Chez Beethoven, le volume regroupant les Symphonie n° 2 et 5 rappelle à quel point Harnoncourt avait su donner une nouvelle impulsion à des partitions mille fois jouées par les grands orchestres.
Les excursions romantiques se feront aux côtés d’abord de Schubert et Schumann, avec chacun leur Symphonie n° 4, le premier abordé avec une noirceur inédite, le second avec un élan global, une manière de repenser l’orchestration et la dynamique à la tête de Berliner méconnaissables de fine tension. Des critères partagés par les concertos de Schumann avec Argerich et Kremer et poussés plus loin encore dans un album Mendelssohn entre un Songe d’une nuit d’été à la finesse inouïe et une Nuit de Walpurgis jouant des alternances d’ombre et de lumière avec un sens dramatique à soulever des montagnes.
Enfin, pour complĂ©ter une exploration qui se poursuivra chez une maison de disques concurrente, en marge de premiers Strauss Ă Amsterdam un peu droits, en retrait des Concerts du nouvel an 2001 et 2003, une Symphonie du nouveau monde de Dvořák inquiète, qui recadre surtout la nuance des interventions de cuivres, mais aussi l’une des plus magnifiques Septième de Bruckner de la discographie, avec des Wiener Philharmoniker spectaculairement amincis, dans une cure d’ascèse qui accouche de l’une des interprĂ©tations les plus fortes que l’on connaisse.
Un joli coffret, dont les pochettes reprennent les visuels des premières éditions CD, et qui propose un habile condensé de l’art interprétatif de Nikolaus Harnoncourt étalé sur presque trois siècles de musique, à la tête des cinq orchestres qu’il s’est borné à diriger toute sa carrière durant.
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