24 déc. :
Coffret Armin Jordan ICON |
Un défenseur du répertoire français
Armin Jordan
The French Symphonic Recordings
Franck, Chausson, Lekeu, Dukas, Chabrier, Fauré, Rabaud, Ravel, Delage, Jaubert
Orchestre de la Suisse romande, Orchestre de l’Opéra de Monte-Carlo, Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Sinfonieorchester Basel, Orchestre national de France, Nouvel Orchestre philharmonique, Orchestre de chambre de Lausanne, Kammer Ensemble de Paris
direction : Armin Jordan
Enregistrements : 1977-1994
13 CD ERATO ICON 0190295953539
Disparu en 2006 à l’âge de 74 ans, Armin Jordan était une personnalité tout aussi haute en couleurs dans la vie (il ne mâchait pas ses mots) que discrète dans son art, loin du star system, très aimée des musiciens d’orchestre, qui a passé sa vie à défendre avec beaucoup de sensualité le répertoire français, inlassablement travaillé tant dans nos frontières que dans sa Suisse natale. Aubaine donc que l’intégralité de son legs symphonique français réuni cet automne par ERATO dans ce coffret de 13 CD.
On retrouve d’abord une anthologie César Franck de tout premier plan, dont la Symphonie en ré mineur n’est pas le maillon le plus exceptionnel, lecture plutôt modérée, sans excès de lourdeur ni vraie lame de fond. En revanche, tant Rédemption que le Chasseur maudit ou les quatre parties de Psyché sont d’une fièvre orchestrale impressionnante, en marge de Variations symphoniques avec Gabriel Tacchino magnifiquement ouvragées, avec un Orchestre de Monte-Carlo en splendeur.
On lorgnera particulièrement le répertoire s’écartant des grandes allées, notamment vers la Fantaisie et l’Adagio pour cordes de Guillaume Lekeu, jeune compositeur belge disparu à l’âge de 24 ans, ou encore la Procession nocturne d’Henri Rabaud, magnifique page décrivant Faust face à un convoi fantomatique, ou même la sélection de mélodies de Maurice Delage et Maurice Jaubert qui occupent les deux derniers disques, magnifiquement détaillées par Felicity Lott – les Sept Haï-kaïs et Quatre Poèmes hindous de Delage particulièrement.
Les faces consacrées à Dukas, superbes, souffrent seulement dans l’Apprenti sorcier de la comparaison avec d’immenses démiurges comme Markevitch, Toscanini, Cantelli ou Fricsay, car passé une introduction miraculeuse, Jordan prend un tempo trop mesuré qui se laisse vite distancer. De même, la sélection de pièces de Chabrier, en soi sans lacune majeure, sonnera pataude pour qui a dans l’oreille les enregistrements Mercury d’un Paul Paray inapprochable.
Chez Chausson, on préférera la Symphonie en sib, habilement manœuvrée, à un Poème de l’amour et de la mer en splendeur à l’orchestre mais desservi par le ton trop opératique d’une Jessye Norman en outre piètre diseuse. Le soliste soprano (le jeune Mathias Usbeck, pas le plus rayonnant des angelots) est aussi le point faible d’un Requiem de Fauré très équilibré, qui se maintient bien malgré la concurrence, un Pelléas et Mélisande idéal de diversité des climats demeurant la meilleure contribution du chef au compositeur.
Un peu plus de deux disques sont consacrés à Debussy, dont Jordan offre une lecture suisse au sens géographique du terme, au parfait point d’équilibre entre traditions françaises et germaniques, textures claires, fluidité du discours mais sonorités orchestrales plus touffues, moins typées dans les vents. Un recentrage réel après les années Ansermet qui avaient fait sonner l’Orchestre de la Suisse romande davantage français que les orchestres hexagonaux eux-mêmes.
Ce carrefour culturel ressenti jusque dans des tempi modérés se perçoit dans la complexité extrême de Jeux, au son jamais éthéré, que l’on retrouve dans une Mer à la belle houle, très intelligemment menée, ou un Prélude à l’après-midi d’un faune à la sensualité active. On retrouve aussi l’orchestration Ansermet des Six épigraphes antiques, moins dentelées et millimétrées que celles du créateur, ainsi que des Nocturnes aux Sirènes tout sauf évaporées, créatures aussi vénéneuses que séduisantes.
Dans l’écriture plus tranchante de Ravel, qui occupe trois CD complets (avec deux versions de Ma Mère l’oye et du Tombeau de Couperin), Jordan gère parfaitement la notion de mouvement, d’une manière presque chorégraphique, sans poigne de fer sur les rythmes les plus brillants (hormis dans un Boléro éclatant) mais en mettant toujours en exergue les zones d’ombres et traits d’orchestration inquiétants ou mystérieux qui sont tout autant le sel de l’univers symphonique ravélien (une Rapsodie espagnole aux mystères nocturnes envoûtants), sans oublier la sensualité rêveuse d’une Shéhérazade avec Rachel Yakar qui demeure un bijou du genre.
Au terme du voyage, il faut bien admettre qu’on peut trouver mieux dans la discographie de presque chaque pièce entendue au cours de ces seize heures de musique, notamment dans les pages les plus enregistrées ; mais appréhendée comme un tout, la somme des gravures symphoniques françaises ERATO d’Armin Jordan s’avère d’une grande cohérence et une introduction parfaite à cet univers.
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