Une Turandot très XXe
Giacomo Puccini (1858-1924)
Turandot
Nina Stemme (Turandot)
Maria Agresta (LiĂą)
Aleksandrs Antonenko (Calaf)
Alexander Tsymbalyuk (Timur)
Angelo Veccia (Ping)
Roberto Covatta (Pang)
Blagoj Nacoski (Pong)
Carlo Bosi (Altoum)
Gianluca Breda (un Mandarin)
Coro di voci bianche dell’accademia Teatro alla Scala
Coro ed Orchestra del Teatro alla Scala
direction : Riccardo Chailly
mise en scène : Nikolaus Lehnhoff
décors : Raimund Bauer
costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Ă©clairages : Duane Schuler
préparation des chœurs : Bruno Casoni
captation : Patrizia Carmine
Enregistrement : Scala, Milan, mai 2015
1 DVD (ou Blu-ray) Decca 074 3937
En mai 2015, Riccardo Chailly faisait une entrée fracassante dans le temple de l’opéra italien avec cette Turandot qui ouvrait son mandat de nouveau directeur musical de la Scala. Élevé à la musique du XXe siècle, il choisissait en toute logique de présenter la fin de l’ultime opéra de Puccini dans la mouture de Luciano Berio, créée en août 2002 à Salzbourg avec Valery Gergiev, plutôt que le happy end usuel de Franco Alfano.
Afin de préparer au mieux la rupture de style entre deux écritures distantes de presque un siècle, le Milanais fait feu de tout modernisme d’un bout à l’autre de l’ouvrage, appuyant chaque dissonance, chaque note parasite semant la discorde dans les accords parfaits, ouvrageant les parties de cuivres et de percussion dans une véritable Klangfarbenmelodie soutenant la ligne vocale toujours très italienne du compositeur. Est-ce pour cela que le Finale de Berio se fait presque oublier, glissant sur nous là où il restait coincé comme une arête dans la gorge treize ans plus tôt en Autriche ?
Toujours est-il que le nouveau maestro scaligero délivre une interprétation charnue, où l’orchestre tient le rôle principal avec une densité qui posait en salle des problèmes d’équilibre balayés d’un revers de potentiomètre par les micros. La distribution n’en proposait pas moins de véritables pointures. En princesse de glace, Nina Stemme trouve selon nous le rôle de sa vie, sa réserve habituelle, le coupant de sa voix tombant à point nommé, Turandot au magnifique métal, quelque part en Birgit Nilsson et la jeune Eva Marton, dardant ses aigus sans fatigue, d’une glorieuse cuirasse pour cet emploi impossible souffrant ici seulement d’un italien trop haché.
Aleksandrs Antonenko, un peu limité de grave, lui tient la dragée haute en Calaf d’une morgue impérieuse de l’émission, d’une manière indécente d’exhiber un aigu surpuissant dont le vibrato a tendance à s’élargir, et dont on ne trouvera à déplorer qu’un manque récurrent de souplesse de la phrase. Maria Agresta, sans être nantie d’un matériau éblouissant, développe une Liù pleine d’italianità et des aigus filés qui chavirent le cœur.
Chez les comprimari, en dehors d’un Mandarin bêtement solfégique, on applaudira l’Empereur Altoum frais et rayonnant de Carlo Bosi, le magnifique Timur d’Alexander Tsymbalyuk, d’une stature de Boris Godounov, et un trio de choc pour les ministres Ping, Pang et Pong. Les chœurs de la Scala, pas toujours d’un grand raffinement, sont d’un impact stupéfiant dans une partition qui sollicite pour le moins endurance et puissance.
Presque secondaire, la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff, très affaibli aux saluts et qui devait disparaître trois mois plus tard, s’avère efficace et plutôt stylisée dans un opéra si souvent englué dans le kitsch. L’espèce de bunker en décor unique tenant lieu de palais impérial sait varier les climats selon les éclairages et propose quelques pistes entre le théâtre extrême-oriental (le costume gigantesque de l’Empereur, les plumes noires de Turandot) et la Commedia dell’Arte (les ministres dans des tenues bouffantes en damiers). Au final rien d’exceptionnel, mais une proposition honnête, loin du fatras folklorique habituel, assez diversement captée par les plans tantôt habiles tantôt d’une esthétique épileptique de Patrizia Carmine.
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