Lulu à l'Opéra de Munich |
Un palais de glace
Alban Berg (1885-1935)
Lulu
Marlis Petersen (Lulu)
Bo Skovhus (Schön / Jack)
Daniela Sindram (Comtesse Geschwitz)
Matthias Klink (Alwa)
Rainer Trost (le Peintre / un Nègre)
Martin Winkler (le Dompteur / l’Athlète)
Pavlo Hunka (Schigolch)
Rachael Wilson (le Lycéen)
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (le Prince, le Serviteur / le Marquis)
Bayerisches Staatsorchester
direction : Kirill Petrenko
mise en scène & décors : Dmitri Tcherniakov
costumes : Elena Zaytseva
Ă©clairages : Gleb Filshtinsky
captation : Andy Sommer
Enregistrement : Nationaltheater, Munich, 05/2015
1 Blu-ray (ou 2 DVD) BelAir Classiques BAC429
Parmi les grands opéras du XXe siècle, Lulu occupe le devant de la vidéographie avec une dizaine de productions disponibles au catalogue. Après celle de William Kentridge au Met commentée l’année dernière, nous vous proposons le Blu-ray du spectacle de Dmitri Tcherniakov à l’Opéra de Bavière, qui bénéficie d’un casting cinq étoiles.
La direction de Kirill Petrenko, d’abord, offre un éclairage original à l’ultime opéra de Berg, d’une coulée presque romantique, jouant d’un flux très XIXe, aux contours arrondis, à la très belle pâte de cordes, mettant en avant les particularités d’orchestration comme des éléments expressifs, et fait chanter avec tristesse le somptueux orchestre maison, auquel il ne manque pas d’insuffler quelques pics de tension, même si l’on reste bien loin de la violence froide d’un Boulez.
Marlis Petersen, pour l’une de ses dernières apparitions dans le rôle-titre, se déchaîne d’un bout à l’autre de la soirée, formidablement coachée en scène, d’une intensité expressive brûlante prenant appui sur un matériau extrêmement souple et précis, ne craignant aucune des cocottes insensées. En Docteur Schön, Bo Skovhus impose avant tout un personnage, noir et colérique, car la tessiture du rôle demeure grave pour lui, dont l’émission n’est désormais mordante que dans les aigus.
Chez les ténors, on a rarement connu distribution aussi soignée, tant chez l’Alwa châtié, bien timbré et lyrique à souhait de Matthias Klink que chez le Peintre de Rainer Trost, jolie bouffée de chant mozartien dans l’univers dodécaphonique. Enfin, aux côtés du Schigolch très neutre de Pavlo Hunka et de la Geschwitz à l’émission lâche de Daniela Sindram, on retiendra la formidable performance de l’Athlète hystérique de Martin Winkler, qui fait ce qu’il veut d’une voix idéalement acérée.
Quant au spectacle plus sage que de coutume de Dmitri Tcherniakov, il aurait tendance à confirmer que le metteur en scène russe a beaucoup moins peur de faire confiance à la dramaturgie des œuvres quand celle-ci tient debout toute seule comme dans ce livret parmi les plus riches du répertoire. Il se contente donc de porter un regard : celui d’une glaciation des sentiments chez des personnages en souffrance, vivant le désir pour Lulu comme un frein à l’épanouissement.
Partant, il a l’excellente idée, même si la captation a dû être un casse-tête épouvantable, d’un décor unique de palais des glaces disant à la fois le côté labyrinthique de la sexualité et l’absence d’intimité d’une héroïne bête de foire constamment visible par la transparence du verre, et dont l’intense vie amoureuse sera contrepointée à l’arrière par des figurants s’essayant à une impossible vie de couple.
Tcherniakov questionne également la santé mentale de Lulu, qui fond en larmes au sommet de sa domination sur Schön avant de sombrer dans la psychose au III, où elle se tord en grimaces inquiétantes, assise seule sur sa chaise dans une scène de Paris où les personnages, murés dans leurs obsessions et immobiles, s’adressent tous à la salle, sans jamais interagir entre eux, dans un moment de théâtre glaçant.
Un excellent prélude à une scène finale où la jeune femme se suicide avec le couteau de Jack l’éventreur, laissant une Geschwitz beaucoup plus mûre et maladroite que de coutume à la même extrémité. Mais dans le fond, tout était dit dès le départ dans cette production où le fameux portrait de Lulu n’est autre qu’une silhouette de scène de crime dans un labyrinthe déshumanisé.
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